En 1974 sortait le premier long-métrage de Terence Malick, Badlands/La balade sauvage. Dérive meurtrière de deux amants juvéniles dans une Amérique rurale et désertique. Un très beau premier film où l’on voit rétrospectivement les germes des oeuvres à venir.
Quatre ans plus tard, Days of Heaven arrivait sur les écrans. Les germes avaient mûri puis éclos. La moisson était magnifique.
Terence Malick filme le temps. Celui qu’il fait (weather) car ses films sont météorologiques. Celui qui passe (time), ou qui justement a du mal à passer.
Chicago, 1911. Bill (Richard Gere) travaille en usine, qu’il quitte précipitamment après une bagarre mortelle. Avec sa fiancée Abby (Brooke Adams), et sa soeur, ils prennent le train pour le Texas. Ils y trouvent du travail dans une grande propriété agricole. Là, le propriétaire (Sam Shepard) tombe sous le charme d’Abby, qu’il croit être la soeur de Bill. Celui-ci laisse Abby l’épouser, espérant qu’ils en tireront profit. Mais dans les ménages à trois, il y a toujours une personne de trop.
Histoire d’amour? Trio infernal? Bien sûr, mais une fois cela dit, l’on n’a absolument rien dit du film.
En effet, si beaucoup de films ont l’amour pour trame et les grandes plaines pour décor (que l’on se souvienne de Giant/Géant, par exemple), ici c’est presque l’inverse. En exagérant à peine, l’on pourrait dire que les moissons, évoquées par le beau titre français, sont la vraie trame du film, alors que les personnages n’en sont que le décor.
Les saisons passent (time), le temps change (weather), le blé pousse, et c’est magnifique!
Combien de cinéastes ont filmé, vraiment filmé le ciel, le mouvement des blés mûrs? Malick est un Panthéiste. Chez lui, un orage qui approche est un évènement en même temps qu’une émotion esthétique. Lumière d’hiver, crépuscule, chaleur, vent, tout est louange (“Teach the free man to praise/Instruis l’homme libre à louer” écrivait W.H. Auden).
Les hommes, par contagion avec cette nature, sont taiseux. Regards, mains qui se frôlent, doigts qui montrent, rien de plus.
Maison qui se détache sur la ligne de fuite d’un horizon sans limite, ouverture de tous les possibles. L’on pense évidemment aux peintres anglais ou américains, à Edward Hopper et ses demeures de grande solitude, son splendide ennui, à Andrew Wyeth et l’étrangeté du quotidien rural, à “Christina’s World” en particulier. Un nuage de sauterelles est beau comme un Turner.
La musique d’Ennio Morricone surgit aux moments les plus inattendus.
Si Malick est Panthéiste, il est aussi Chrétien et connait sa bible sur le bout des doigts. A tout fruit son ver. Un fléau de sauterelles dévastatrice annonce une fin tragique. Présent du paradis/Heaven, puis instant de la chute. Chez Malick, l’homme est constamment chassé de la splendeur du jardin. Nulle morale pourtant. Il est plus question de destin que de châtiment. La fin, à travers les yeux d’une enfant nous offre d’ailleurs une possible liberté, toujours à conquérir, à défaut d’un bonheur certain.
Ce n’est pas un film avec “de belles images”, dans le genre carte postale. C’est une oeuvre élégiaque, lyrique, solaire. Mais le soleil peut aussi brûler.
Si vous vous laisser prendre, de grandes émotions vous attendent. Si vous aimez les dialogues, et cette plaie nouvelle et puérile, parce qu’obligatoire, que l’on nomme action, passez votre chemin. Si par contre, le vent et la neige ne vous font pas peur, chauffez-vous au feu Malickien, qui embrase la nuit et ravage les moissons. Il laissera vos yeux rassasiés et vos coeurs en jachère.
L’on peut reprocher beaucoup de choses à Terence Malick. Critiques et spectateurs ne s’en sont d’ailleurs pas privés. Néanmoins, il a ce que très peu de cinéastes ont : un style unique et une vision du monde.
Il allait falloir attendre encore vingt ans pour découvrir un autre chef d’œuvre : The Thin Red Line/La ligne rouge.