
David Lynch est mort !
Cela me touche énormément et je me demande pourquoi. Bien sûr, il m’a accompagné comme tant d’autres artistes et il est logique d’être touché, surtout comme cinéphile. Néanmoins, cela va au-delà de la simple émotion et bien au-delà de la cinéphilie. Cela a à voir avoir l’intuition. J’ai, nous avons, perdu un être cher.
David Lynch n’est pas seulement cinéaste. Il est artiste, totalement.
Il touche à la peinture, à la sculpture, à la photographie et à la musique (3 notes et vous savez que vous êtes dans un de ses films. Un univers, une signature!)
Quand on va voir « Mulholland Drive », par exemple, on ne va pas voir un film, on va voir un film de David Lynch et c’est tout à fait différent. Peu de cinéastes ont réussi cela. Voir un de ses films c’est faire une expérience, être happé, traverser un monde qui, s’il est le nôtre est en même temps complètement autre, intime et étranger. Et l’on en sort (pas complètement) ravi (au sens premier), sonné, désorienté, comme au réveil après un rêve dont on ne sait pas très bien s’il a été un cauchemar ou un voyage extraordinaire. On parle de vision d’un film et dans le cas de Lynch le mot est juste. Il s’agit bien de visions. Il serait long et fastidieux de faire une liste des moments magiques, terrifiants, poétiques, inoubliables qui parsèment, qui tissent ses œuvres. Chacun a sa propre liste. Lynch nous malmène, nous émerveille, nous stupéfie, nous terrasse. Cela tient de Kafka, de Picasso, de la musique expérimentale. Chaque film est un puzzle mais il manque toujours quelques pièces et après chaque vision ce ne sont jamais les mêmes. Et c’est profondément vrai, profondément dérangeant, profondément bouleversant, très intime.
Il fait exploser la narration, choque, cherche et dans la nuit où nous sommes tous laisse des comètes lumineuses et sidérantes.
S’il existe une persistance rétinienne, il existe également une persistence Lynchienne, un étrange, un merveilleux, un inquiétant qui dure.
Bien sûr, comme des millions de spectateurs, je me suis posé les mauvaises questions : « Mais pourquoi ? Qu’est-ce que cela veut dire ? » au lieu de juste savourer ce dépaysement total, cette différence essentielle, ce pays inconnu.
Et puis il y a eu : « Twin Peaks : The Return » (car David Lynch a évidemment dynamité la série dés les années 90 en la portant à une incandescence jamais atteinte, et jamais égalée depuis). La simple réapparition des personnages 30 ans après m’a ému aux larmes. Comment Lynch a-t-il réussi ce prodige ? C’était comme retrouver des amis perdus de vue et qui comptaient énormément sans que je le sache.
Et la merveille que constitue ce retour, ce monument d’art moderne pur m’a éclairé sur mon rapport à David Lynch. Outre les résonances intimes, j’ai réalisé cette chose essentielle que David Lynch m’a enseignée sans que je le sache : il m’a appris à ne pas comprendre ! Il m’a appris ce lâcher-prise, ce saut vertigineux et délicieux dans l’inconnu qui permet de savourer sans questions inutiles les sensations, les soubresauts, l’émotion brute que portent ses œuvres.
Suis-je triste ? Je ne sais pas et pourtant j’ai, nous avons, perdu un ami dont beaucoup ignoraient l’existence.
Salut l’artiste, à jamais vivant dans cet « Inland Empire » où nous errons, à tâtons, et qui ressemble à la vie.