
Ah, les racines de la France ! L’image est un poncif, on pourrait parler des origines, de ce qui a donné naissance à ou de ce qui a permis l’évolution de. Mais on dit « les racines », pour faire comprendre que l’arbre tricolore, majestueux et feuillu comme on se l’imagine, ne tient debout que parce qu’il a enfoncé un jour sa radicule dans la terre, où celle-ci se développa en puissantes et profondes accroches assurant croissance et stabilité au tronc et aux branches nouvelles.
Et les racines de la France seraient chrétiennes…
N’étant pas chrétien moi-même, et pourtant fièrement (pas toujours) français, j’ai toujours un peu de mal avec de telles affirmations, qui font de moi une sorte de « déraciné », obligé de m’incliner devant cette religion, intéressante et admirable, certes, mais pas mienne.
Alors bien sûr, pour déterminer quelles seraient les racines d’un pays, il faudrait se demander à quelle moment l’on considère que l’arbre est né. La France est-elle née avec Clovis ? Ou existait-elle déjà, même en germe, à l’époque de la Gaule. Si l’on est chrétien, il me semble que l’on se doit de prendre en compte la vie prénatale depuis la conception, et donc considérer que lorsqu’on évoque la France, on parle aussi de la Gaule.
Si l’on remonte si loin, on doit alors se rendre compte que les influences qui ont fait de la France ce qu’elle est sont aussi tout à fait païennes. Les Gaulois avaient une culture animiste forte, fondée sur un profond respect de la nature et une organisation sociale tribale. Leur spiritualité était marquée par une relation étroite avec la terre, les arbres, les rivières et les animaux. Et aussi quelques sacrifices humains qui certes ne font ni envie ni honneur ni ne parlent en faveur de ces celtes prénatals. Sacrés druides !
Ah ! Nos ancêtres les païens !
Puis vinrent les Romains. Rome a eu une influence décisive sur la culture française. L’intégration de la Gaule à l’Empire romain a entraîné l’adoption du latin comme langue dominante et l’introduction des institutions romaines. Cette romanisation a façonné la France, en particulier dans les domaines du droit, de l’architecture, des infrastructures et des coutumes. Ah ! Nos ancêtres les Romains !
Et à travers eux, les Grecs ! Car cette Rome, qui avait conquis la Grèce au IIe siècle avant que le roi des juifs Jésus ne fût né, avait adopté une grande partie de la culture grecque, notamment en matière de philosophie, d’art, d’architecture et de religion. Les élites romaines, qui étaient profondément influencées par la pensée grecque, ont imité les philosophes grecs dans leur mode de vie, leur réflexion et leur écriture. Ce phénomène a bien sûr eu un impact indirect sur la Gaule, où les intellectuels et aristocrates ont commencé à s’intéresser aux idées grecques, en particulier à travers les ouvrages des philosophes romains comme Sénèque (stoïcisme) ou Lucrèce (épicurisme).
Plus tard, les Grecs eurent encore une grande influence sur la France puisqu’on vit les défunts Aristote et Platon s’infiltrer honteusement dans les raisonnements chrétiens de la scolastique, une combinaison d’exégèse chrétienne (l’interprétation des textes sacrés) et de la philosophie grecque. Puis encore la Renaissance est venue avec son lot de philosophes humanistes, les Rabelais, Érasme et Montaigne, qui payèrent un large tribut à leurs ancêtres les Grecs à grands coups de de « arete » (vertu, excellence en grec) et du concept de sagesse par la raison.
Et revoilà les hellènes qui à peine sortis par la fenêtre des humanistes rentraient par la porte des lumières, invités par Voltaire, Rousseau et autres Montesquieu !
Puis il y eut Nana Mouskouri et Georges Moustaki.
Ah ! Nos ancêtres les Grecs !
Mais nos philosophes des lumières, appelons-les nos lumineux, se sont aussi gavés de philosophie indienne, quand la connaissance des Védas, des Upanishad, et des écrits philosophiques hindous a été introduite en Europe, notamment grâce aux traductions et aux travaux des érudits européens ayant séjourné en Inde. Voltaire se retrouvait plus en la spiritualité indienne qu’en la chrétienne. Est-ce à dire que Voltaire ne fait pas racine ? (On pourrait aussi parler de l’influence des religions indiennes sur la philosophie et les cosmogonies grecques de l’antiquité, bien sûr dans un registre plus indirect).
Ah ! Nos ancêtres les Hindous !
Puis vint la Révolution. Française, certes, mais tellement influencée et nourrie d’idéaux nés des « révolutions » américaine et anglaise. Les idéaux de la démocratie, de la liberté, et des droits de l’homme issus de la Constitution américaine ont présidé à la naissance de la démocratie à la française. Les Américains d’ailleurs n’ont eu de cesse que d’injecter leur ADN par l’intermédiaire de leur culture si détestable, Mark Twain, Edgar Poe, Melville, puis Buster Keaton, Charlie Chaplin, Hollywood, Marilyn Monroe, Joséphine Baker, le rock ‘n’ roll et le rap…
Du coup, ah ! Nos ancêtres les Américains !
Les juifs bien-sûr, ont séjourné sur le territoire de l’hexagone depuis plus de 2000 ans. Donc, ah ! Nos ancêtres les israélites !
Les musulmans sont là depuis longtemps aussi ! Sans même parler de la bataille de Poitiers (732), que certains auraient tendance à considérer comme la preuve que le musulman est par essence un grand remplaceur, on peut tout de même se rappeler que dans le Sud de la France, dès le VIIIe siècle des musulmans régnaient (l’Empire musulman d’Al-Andalus occupait le Languedoc et la région de Narbonne. C’est bien français ça, on y fait du cassoulet !) Bon c’est vrai, ils n’étaient pas très nombreux dans l’hexagone avant que nous vienne l’idée d’aller coloniser l’Afrique du Nord au XIXe siècle. Mais depuis, ils sont beaucoup (même Zemmour le dit). Du coup, avec plusieurs millions de musulmans sur le territoire, quelques racines mahométanes ont bien dû pousser ci et là sous l’arbre tricolore.
Ah ! Nos ancêtres les islamites (si, si, ça se dit, et ça rime avec dynamite) !
Bon, et il y a tous les autres. Si l’on faisait le tour de tous ceux qui sont venus chez nous et ont exercé une influence sur ce que nous, en tant que peuple, en tant que nation, en tant qu’individus liés par une destinée au moins un peu commune, sommes devenus… on n’en finirait pas. Des bouddhistes, des Chinois, des Cochinchinois, des chamans, des Éthiopiens, des soviétiques, des nordiques, des Vikings (ah ! nos ancêtres les Vikings !), des Bosniaques, des Ivoiriens de la Côte, des éléphants, des nazis, des communistes, des capitalistes, des indigènes, des Corses (qui n’ont pas toujours été français, n’en déplaise à Napoléon), des ritals, de la mauvaise graine, des Papous, des Lapons dont le Père Noël, des sorcières de Sabbat et des reines de Saba, des reines d’Égypte (Dalida, pas Cléopâtre), des Kanaks, des polacks, des macaques, des féticheurs, des lucifériens, des sikhs enturbannés, des Belges (même le grand Jacques en était), des rappeurs de Villeneuve Saint-Georges, des gitans (Django c’est ma culture), des rosbifs, des teutons adorateurs de Wotan, des Irlandais (le grand-père de De Gaulle était un Mac Cartan), des mathématiciens arabes, des sardines d’Espagne et des espèces de Sardes, des maçons portugais et même des espingoins, qui ne sont pas des animaux de la banquise.
Alors, revenons-en à la question qui nous taraude : les racines de la France sont-elles chrétiennes ? Réponse : oui, un peu.