
Il souffle ces temps-ci comme un vent de nostalgie à propos des années 90 et, en particulier, de la fin des années 90, l’ère des boys bands, époque bénie s’il en est car tout le monde s’en est mis « plein les fouilles ». Je ne parle pas des artistes qui, bien que rémunérés largement, n’ont vu que la partie émergée de l’opération financière. Non, je parle des producteurs, maisons de disques, magazines pour la jeunesse, radios et télés qui ont exploité à fond le phénomène boys bands. Jamais l’industrie musicale ne retrouvera une telle manne en France.
Le directeur des programmes de NRJ, radio qui a été l’une des premières à matraquer du boys band et l’une des premières à les laisser tomber, explique sans états d’âmes sa démarche : « la musique est un produit de consommation. Nous avons traité les boys bands comme un produit de consommation car NRJ est une radio de consommation. » Ça a le mérite d’être franc, à défaut d’autre chose.
Même si la motivation purement financière des médias de l’époque est évidente, explicite jusqu’à en être écoeurante, il reste que ces trois, quatre années (1996 à 2000) ont laissé une trace indélébile sur ceux qui l’ont vécue en tant qu’ado ou pré-ado. C’était visiblement une époque de rêve, d’insouciance où rien n’était vraiment sérieux, un peu comme la fin des années 50 aux USA.
La musique des boys bands est la bande originale de ces années-là.
Quelques précisions
Avant de parler de « boys band », il faudrait définir de quoi on parle. Certes, l’expression est apparue dans les années 90 mais elle n’est que la verbalisation d’un vieux phénomène propre à la culture pop depuis ses débuts. L’idée générale est de réunir un groupe de garçons jeunes, beaux gosses, pleins de charme, si possible de talent et générant l’enthousiasme de fans, adolescentes pour la plupart. Ils sont censés être célibataires et rechercher l’amour. Et leurs fans sont censées leur apporter cet amour. Mais le fossé artistes-public est tellement large que cet échange de bons procédés ne se fait jamais. Résultat : les fans deviennent quasiment folles de ne pouvoir donner leur amour à ces gentils garçons qui en ont tellement besoin. Les fans deviennent même agressives, voire dangereuses pour les artistes ce qui fait que le fossé dont je parlais plus haut est volontairement agrandi par les agents de sécurité. Ce qui redouble la passion des fans. Comme on le voit, le phénomène est sans fin car il s’entretient de lui-même. Cette description s’applique à pas mal d’artistes et déborde largement la définition restrictive de boys bands de la fin des années 90.
D’une certaine manière, les Beatles étaient le premier boys band de l’Histoire. Il n’est pas question de comparer leurs aptitudes artistiques à celles de… G-Squad par exemple. Le problème n’est pas là. C’est en générant les manifestations dont je parle plus haut que les Beatles sont devenus le phénomène qu’on connait. Qu’on y pense une seconde : jamais l’industrie musicale ne les aurait autorisés à produire les chefs d’œuvres de la deuxième partie de leur carrière s’ils n’avaient auparavant produit beaucoup d’argent car personne n’avait fait ça avant eux et ça coutait très cher. La pop est faite pour se vendre et le créneau boys band est un créneau comme un autre. Ceci étant dit, commençons notre histoire.
Il était une fois…
… Un pays, la France, où les boys bands britanniques et américains n’avaient que peu de succès. Ce désamour aurait pu durer éternellement si le directeur des programmes de NRJ n’avait pas été sidéré par un morceau du groupe anglais Worlds Apart et n’avait pas décidé de le faire programmer en France :
Gros succès. On est début 1996 et les jeunes françaises découvrent ces jeunes hommes beaux, bien foutus, sympas et qui se montrent à leur avantage en tant que danseurs dans ce clip remuant sur un morceau typiquement eurodance.
Evidemment, on rempile en France et en français en reprenant une chanson de Goldman sur des rythmes dance :
Worlds Apart a deux chanteurs qui se repassent la balle pour le plus grand bonheur de leurs fans. Quand ils reprennent la chanson de Freddy Mercury I Was Born To Love You, plus personne ne leur résiste :
Ce qui est frappant dès le début avec Worlds Apart c’est qu’ils ne font pas craquer que leurs fans. Des personnes qui n’écoutent jamais ce genre de musique sont touchées par leurs prestations. Là encore, ça rappelle la Beatles mania. Cette adoption/approbation par l’ensemble du public sera une des grandes forces des boys bands. On pourrait même dire que c’est la quantité d’acceptation d’un groupe par les non-initiés qui définit la magnitude de son succès. C’est assez frappant dans la vidéo suivante où le groupe est invité dans une émission de variété grand public. Le présentateur et ses invités sont fascinés par l’enthousiasme du groupe :
Les gars du groupe
En écoutant Worlds Apart dans leurs interviews, on a clairement l’impression d’avoir à faire à des personnes simples, sympas et qui ne se prennent pas spécialement au sérieux, ce qui est pourtant le cas de beaucoup de célébrités de cet acabit. Du coup, ça les rend plutôt sympathiques. En même temps, de simples à simplistes, il n’y a qu’un pas. Même si Nathan Moore fait l’apologie de la bonne musique plus que de la présentation, on a un peu l’impression que les gars sont plus des danseurs et des showmen que des musiciens. Mais il faut leur reconnaitre une chose : le groupe s’est formé tout seul, il n’a pas été recruté par casting et ses membres ont toujours été dans la musique. On n’est pas dans le cas de figure où ils ont saisi une opportunité qui passait.
Un tel succès, une telle ferveur vont faire rêver les producteurs français. Ils se posent une question évidente : plutôt que d’attendre qu’un tel groupe n’émerge en France, pourquoi ne pas le créer de toutes pièces ? Ce serait tellement plus simple et facile à contrôler…
La prochaine fois : les boys bands français.