
Daves croit aux hommes de bonne volonté et on ne saurait le lui reprocher. Malgré tout, il oublie par-là l’épisode historique, dont le film est tiré. En effet, après avoir accepté la paix et la “retraite” dans la réserve Chiricahua en 1871, celle-ci fut fermée arbitrairement en 1876 et les Apaches furent déportés sur la réserve de San Carlos, bout de terre aride et infertile. Nombre d’entre eux essaieront de fuir (dont Geronimo) et seront plus tard déportés en Floride où ils mourront, du climat, entre autres.
Mann a intitulé son film Devil’s Doorway, porte qui donne sur les Sweet Meadows. De quel enfer, de quel paradis est-il question? Un constat primaire nous oblige à constater que l’enfer, évidemment, est pour les indiens. Le paradis, lui, est pour les américains blancs, si ils savent ne pas se souvenir. En effet la dernière réplique du film est prononcée par Orrie, en guise d’épitaphe : “It would be too bad if we ever forgot.” “Too bad” en effet, car en 1950, quand sortit le film, tout le monde avait oublié.
Daves tournera de nombreux autres westerns, pour la plupart bons, voire excellents. On peut citer Jubal/L’homme de nulle part, The Last Wagon/La dernière caravane, The Hanging Tree/La colline des potences, et bien sûr 3:10 to Yuma/3h10 pour Yuma, chef d’oeuvre du genre. Il y demeure toujours lyrique et ouvert, et y affirme sa foi dans l’homme.
Mann entamait alors une série de westerns qui allaient rester mémorables. Citons, outre Man of the West/L’homme de l’ouest, Winchester 73, Bend of the River/Les affameurs, The Naked Spur/L’appât et The Far Country/Je suis un aventurier. Il y dessinait un ouest sauvage et violent, où la nature reflète passions et conflits, théâtre farouche et magnifique, pays trop grand où la petitesse des hommes s’affiche, où ils s’écorchent et se détruisent, et se vengent sans fin. Il y montre une violence en définitive fondatrice d’un pays et d’une culture.
Le Wyoming inspirera d’autres cinéastes. Citons George Stevens pour Shane/l’homme des vallées perdues, et surtout Michael Cimino pour l’immense Heaven’s Gate/La porte du paradis (cf. ma chronique éponyme). Comment d’ailleurs ne pas souligner ce lien/raccourci cinéphilique et westernien ? En passant de Mann à Cimino, on passe de la porte du diable à celle du paradis. Pour les deux réalisateurs, si paradis il y eut, ce paradis fut perdu, souillé par le sang versé. Pour Mann, les indiens en ont été dépossédés. Pour Cimino, nul n’est besoin des indiens pour que les blancs s’entretuent. Pour tous les deux, en tout cas, ce paradis est là, mais pas à portée de main des hommes. Si Mann insiste sur le diable dans son titre, c’est peut-être qu’en immigré allemand qu’il était, il savait que de la terre qu’il avait quittée avait germé l’enfer. Quant à Cimino, si son titre mentionne le paradis, il précise qu’on en reste à la porte.
Il allait falloir presque 20 ans encore après les films de Mann et de Daves pour que la cause indienne émerge, avec l’occupation de l’ile d’Alcatraz en novembre 1969 et la publication de “The Alcatraz Proclamation”(à lire absolument!). En 1973, de fut l’occupation de Wounded Knee et la création de l’American Indian Movement. Les indiens devenaient des Native Americans, la situation s’améliorait un peu, mais l’Amérique demeurait terriblement blanche. Pourtant, les peuples amérindiens aiment à nous le rappeler: “Nous sommes tous rouges à l’intérieur”.
Les indiens allaient après 1950 devenir une source importante de l’inspiration westernienne. Citons Samuel Fuller avec Run of the Arrow/Le jugement des flèches, André de Toth avec The Indian Fighter/La rivière de nos amours, Robert Aldrich avec Bronco Apache, puis dans les années 60, Arthur Penn avec Little Big Man, Elliot Silverstein avec A Man Called Horse/Un homme nommé cheval, Ralph Nelson avec Soldier Blue/Soldat bleu. J’ai volontairement laissé de côté Les westerns de Ford, car Ford est un continent à lui tout seul, qui mérite une chronique plus approfondie. J’y reviendrai.
Chapitre précédent :



