
Broken Arrow / La flèche brisée, western de Delmer Daves – 1950
En juillet 1950 sort Broken Arrow, premier western de Delmer Daves. En septembre de la même année sort Devil’s Doorway, premier western d’Anthony Mann.
Coincidence? Quelque chose semble être dans l’air et le genre est peut-être mûr pour une nouvelle approche de la question indienne. Dans deux registres différents, Daves et Mann livrent deux films magnifiques qui marquent un vrai tournant dans le genre.
Daves en est à son onzième film en tant que réalisateur, mais il commencé sa carrière comme acteur en 1928, puis scénariste. Il a déjà tourné des films de guerre: Destination Tokyo, Pride of the Marines/La route des ténèbres, aussi bien que des films noirs comme Dark Passage/Les passagers de la nuit. Progressiste, ouvert, ayant lui-même vécu avec les indiens alors qu’il avait 22 ans, Daves voulait changer le regard du spectateur sur les “Native Americans”. Il choisit James Stewart, acteur populaire, dont c’est aussi le premier western.
L’histoire se déroule en Arizona (où le film a d’ailleurs été presque entièrement tourné, en décors naturels). Tom Jeffords, ancien soldat lassé de la guerre, se trouve en situation d’être le promoteur de la paix entre les Apaches, menés par Cochise, et l’armée américaine. Au cours de son ambassade, il tombe amoureux de Sonseeaharay, une indienne
La situation reste classique: le conflit blancs/indiens, mais on découvre ici le point de vue indien, et l’essentiel du film se passe en territoire Apache, même si le récit est raconté, vu par un homme blanc.
Dès le générique, les noms apparaissent sur des peaux (de bison?) où chacun reconnait immédiatement des dessins indiens. Le ton est donc donné. Daves veut faire un film où les indiens ne sont pas réduits au stéréotype alors en vogue, celui du sauvage sanguinaire. Il veut faire découvrir un peuple, ses coutumes et sa “réalité”.
Symboliquement, l’action démarre par la découverte d’un jeune Apache blessé. Les indiens américains sont en effet à l’époque littéralement “en mauvais état”, acculturés, délaissés, alcoolisés, sans emploi ni éducation. C’est vraiment une nation agonisante. Le héros, Tom Jeffords, n’aime pas les indiens, il s’en méfie. Pourtant, las de la violence, et peut-être en raison du jeune âge du garçon, il le soigne. Première surprise pour lui, ce garçon a une mère, qui pleure et qui s’inquiète. Il se pourrait qu’il soit humain! Assez vite, il est confronté à d’autres indiens mais est épargné pour son geste. D’autres colons de passage ont moins de chance et on réalise également la cruauté des Apaches envers ceux qui foulent leur territoire. Il ne s’agit donc point pour Daves d’être angélique, et de céder au mythe du “bon sauvage”.
L’action peut donc vraiment commencer.
Nous découvrons des rites, un mode de vie, une civilisation. Les rôles principaux sont tenus par des acteurs (Debra Paget et Jeff Chandler), mais de nombreux figurants sont de vrais indiens (1). Comme Tom Jeffords, le spectateur de l’époque peut changer de point de vue et ressentir de l’empathie.
L’histoire d’amour entre Tom et Sonseeaharay évoque immédiatement au spectateur américain celle de John Smith et Pocahontas, et permet de tirer le film vers le mythe. De plus, les personnages (et leurs interprètes) sincères, amoureux pour la première fois, ainsi que le ton lyrique de Daves, ont tout pour convaincre. Les paysages d’Arizona sont magnifiques et donnent de la grandeur à l’action. La beauté est toujours contagieuse.
L’apparition des indiens est une constante des westerns. Ils sont tapis, invisibles et ce sont leurs flèches que l’on voit en premier. Mais ils ne sont pas seulement cachés par sournoiserie, lâcheté ou pour des motifs belliqueux. Leur vision du monde (ce sont des panthéistes) les poussent à se fondre dans la nature, dans le paysage, en harmonie, à n’être qu’un maillon dans le cycle de la vie. L’homme blanc, lui n’a de cesse de dominer le paysage, tant il s’en sent le maître et le possesseur. Ses constructions en témoignent: châteaux, églises, villages, forts, tous perchés sur des collines. Il veut laisser un signe de sa présence/ puissance.
Au cœur du film, il y a également le problème de la parole donnée, de la confiance. Grand classique du western: le traité. Assez ironique et hypocrite quand on sait que sur les 400 traités signés au 19ème siècle, l’homme blanc n’en a pas respecté un seul. (source: Howard Zinn) Le traité mis à l’épreuve, il y a ceux qui passent outre, par bêtise, cupidité, esprit de vengeance ou d’insoumission. Chez les Apaches, Géronimo refuse le compromis et veut continuer le combat. Historiquement, Géronimo fut le dernier chef Apache à se rendre, en 1886, traqué pendant plus de 8000 hommes pendant plus de cinq mois. Chez les blancs, ce sont les racistes, les expensionnistes, les profiteurs et la foule brutale et stupide.
Ce qui est souligné dans le film de Daves, c’est l’amour et l’attachement profond des indiens à leur terre. Les indiens se battent, mais pour une cause, pas par simple sauvagerie. Sauvagerie retournée dans le film, car ceux qui veulent lyncher Tom pour “collaboration” avec l’ennemi, ceux qui “tuent l’amour” sont des blancs. Et devant le pessimisme final, devant le désespoir de Tom, c’est Cochise qui exige de redonner une chance à la paix, Cochise qui apparait comme une figure charismatique, un prophète aux pouvoirs surhumains (“Ne lui mentez jamais, ses yeux voient au fond du cœur. Il est plus grand que les autres hommes.”).
Daves montrent les indiens comme des gens dignes, fiers, aux préoccupations humaines et humanistes. La sincérité et (chose rare!) la tendresse qu’il insufflent aux scènes d’amour finissent de convaincre le spectateur.
Enfin, s’il est lyrique et se veut optimiste, il est aussi élégiaque. Il y a chez lui la conscience du “Paradise Lost”. Sachons-lui gré , tout comme à Cochise, d’avoir essayé de sauver ce qui pouvait l’être.
(1) Ce ne sont pas les premiers vus à l’écran. John Ford, par exemple, a engagé des indiens dès 1924 pour The Iron Horse.
Semaine prochaine :
Les indiens perdent toujours 2/3
Devil’s Doorway/La porte du diable – western d’Anthony Mann – 1950



