
Prologue
Il m’avait attirée dans la mer
Saisi les deux mains
Une myriade de gouttelettes érigées
Moi debout également
Attendant l’autre instant
Avec, sur ma peau
La parole du vent
Il y avait ses yeux gris
Terre inhabitée
Ce plissement infini
A l’assaut d’un soleil pâle
Je ne savais plus qui j’étais
Puis la mer nous a fondus
Sur la ligne d’horizon
Ses mains couraient sur des sentiers nouveaux
Rigoles, reliefs, oasis
Etrillaient aussi la bannière de mes cheveux
Et son regard trouble dans l’eau verte
Par ses doigts enfoncés
Dans la tourbe
Le haut est devenu le bas
Et le fil s’est dévidé
Dans le chant de nos silences
J’étais ivre sans savoir
À la surface
Seins dessinant des sillages
Une bouche entrouverte
Des cils en lévitation
Et l’eau glacée de la Baltique
Et j’ai tout oublié
Sauf ce désir qui rampait
Comme le vent vers l’extase
Et qui nous a laissés muets
Pendant bien des années
C’était juillet
Extrait de Le sillon des jours, Isabelle Lagny – 1er édition Le temps des cerises, 2ème édition augmentée Pippa 2017

Le sommeil du poète
Le sommeil est une brique
Déposée sur les draps
Des pensées arrosent le jour
Et amarrent les plaies de la nuit
Autrefois
Avec ma mère
Dans mes bras béants
Je reconstituais le monde
Pierre après pierre
Et je l’y faisais vivre
A ma guise
Elle
Et son sourire
Exhumé des décombres
Il y a ici
Dans les fractures de l’air
L’explosion du calme
Un déficit de violence
Et un nid pour la pensée
Il y a ici
Une porte
Qui claque doucement
Une voiture souffle l’aube…
Et mon front se pose
Sur la traîne de l’obscurité
La respiration de mon bien-aimé
Flotte sur les choses
Sur la plénitude des choses
Elle chérit le chant
De la tourterelle
Sur la table du printemps
Explore les draps frémissants
Dans le lit déserté
De la chambre nuptiale
Et au petit matin
Quand le jour
N’est encore qu’une lumière bleue
Les guerres sont finies
Les puissants sont morts
Et une coccinelle habite mon cœur
Extrait de Nuit Inversée, Isabelle Lagny – Edition Al Manar, 2018



