Les mousquetaires et le veggie bowl
C’était en 1983, c’était il y a un siècle… Maïté la cuisinière télégénique, déesse tutélaire du foyer, sur son plan de travail débitait le sanglier à la feuille, estourbissait l’anguille au gourdin, décapitait le canard gras en direct. Elle nous régalait de ses plats amoureusement mitonés dans de la graisse d’oie dont nous pouvions sans arrière-pensées nous tartiner les artères.
Ses émissions (1.) rigolotes et maternelles font désormais crier les nouveaux bien-pensants qui n’imaginent pas que leurs névroses ne puissent être partagées par tout être sensé. Ces nouveaux diafoirus sont prêts à tout pour imposer leur point de vue qui est à leurs yeux la seule vérité. Entendez-vous dans nos celliers mugir ces féroces forcenés déterminés à nous confisquer la clé de la cave à liqueurs ? Qui viennent jusque dans nos cuisines nous priver de cassoulet ? Les vegans, les écolos, les excités normatifs ? Entendons-nous bien, ce qui est fasciste, ce n’est pas d’être vegan, ou écolo, ou fan de radis noirs. C’est de vouloir imposer le veganisme à tous, l’écologie dans notre assiette, les radis noirs à l’apéro. Toute disparition de la diversité est une perte de sens, tout restriction des choix est un échec de civilisation. Tout ceci est broutille, serez- vous tentés de dire. Pour les foodistas, ce qui compte, c’est surtout la symbolique. Grave erreur. Si les lieux d’épanouissement de cette perte de sens n’étaient que nos assiettes, serions-nous pour autant sauvés du fascisme ? Ce que nous sommes est ce que nous mangeons. Sommes-nous prêts à renoncer à ce que nous sommes ?
Cette frénésie normative peut nous écraser si nous n’y prenons pas garde, si nous pensons qu’elle n’est qu’une expression de la modernité. Si la modernité marchante nous délivre, les modernités galopantes nous enferment. Les injonctions sociales sont déjà nombreuses, elles bercent l’enfance et rythment l’âge d’homme. Ne nous y trompons pas, cette frénésie est bien un totalitarisme. Cette recherche éperdue de sens, pour ceux qui ont perdu la boussole de leur culture, leur fait oublier que d’autres ont pu garder un cap, ce qui d’ailleurs n’empêche en rien de tirer des bords. Cette recherche de nouveautés galopantes peut être pathétique. Elle peut aussi être totalitaire. Les paumés veulent le bien. Si c’est pour eux, c’est après tout légitime ; si c’est pour les autres, ce peut être criminel. Maïté, reviens !
Éric Desordre
1. La cuisine des mousquetaires, de Maïté Ordonez, France 3, 1983-1999