
Une Gazaouite marche au bout de l’enfer. Elle se sent miraculée d’être encore vivante, mais pour combien de temps ? Parfois, elle croit devenir folle devant les horreurs qu’elle voit. Elle marche le temps d’une trêve dans les rues de Gaza, mais elle ne sait pas où aller. Comme dans sa vie d’ailleurs. Soudain, brusquement, elle entend la sirène retentir, annonçant à la population que les massacres reprennent. En courant, au péril de sa vie, elle tombe miraculeusement sur un bunker pour pouvoir se cacher. A l’intérieur de cet abri, elle rencontre une enfant qui sous le choc des bombardements est prise de frissons et de pleurs. En voyant cela, elle, ayant autrefois été mère s’approche de la petite fille en état de traumatisme et lui dit : « Je veux espérer pour toi que ceux de ta génération pourront un jour vivre dans un état en paix. Ne te méprends pas, les larmes que tu vois sur mes joues sont des larmes d’espoir dont chaque goutte tombée au sol engendrera les graines d’un avenir meilleur. Pour toi, je veux produire ces larmes, pour les Palestiniennes et les Palestiniens de ta génération. Des larmes d’espoir, il en manque dans ce bunker au sol et aux murs crades et austères. Je sais que mes larmes sont fragiles et qu’elles peuvent être réduites en mille morceaux à tout moment. Néanmoins, je veux croire que de ma tristesse, pourtant devenue aussi sombre que les mottes de terre infertiles de mon pays natal, naîtra l’espérance. C’est effrayant, cette sensation d’être ensevelie vivante sous les débris de la haine. Mais pour toi mon petit cœur, je vais cesser de m’asphyxier et d’ouvrir les portes d’un avenir meilleur. » La petite fille recroquevillée sur elle-même ne bouge pas. Il serait bien difficile de dire si elle écoute ou même savoir si elle entend, tant son immobilité est impressionnante. On dirait qu’elle veut disparaître dans l’obscurité du bunker. Maintenant il n’y a plus que les bruits horribles des bombardements et autour rien, sauf que tout à coup, au milieu de la cacophonie des armes, une petite voix, ténue, se fait entendre. « Quand verrons-nous dans nos rues, sur nos places, des joueurs non plus d’orgues de barbarie, mais des musiciens d’orgues de paix ? La musique de l’armistice me paraît tellement lointaine. Ce n’est pas pour demain que les musiciens ambulants d’orgues de paix tourneront la manivelle de l’apaisement. Paraît-il qu’il y a des enfants dans le monde qui vivent librement et moi depuis que je suis née, pourquoi dois-je me cacher ? ». Les heures dans le bunker continuèrent à s’écouler lentement et la Gazaouite finie par demander à l’enfant son nom. « Je m’appelle Al- Layl, et toi ? Comment t’appelles-tu ? » « Je me nomme Al-Matar » répondit l’ancienne mère. « Mes nuages intérieurs ne produisent généralement que de la vapeur d’eau d’écœurement, laissant peu à peu la place à des pluies où chaque goutte est un cri d’horreur, mais en souvenir de ma fille et pour toi, dorénavant, je ne façonnerai qu’une pluie de larmes d’espoir. » Rapidement, la pluie émotionnelle se transforma en averse de petites lueurs bienveillantes inondant le refuge militaire.
Al-Matar et Al-Layl se regardèrent un moment. Tout à coup Al-Layl se mit à évoquer son passé. « Mes amies de l’école, avant qu’elle ne soit détruite par une explosion, m’avaient donné le surnom d’Al-Qamar. Pourquoi ce surnom ? Peut-être parce que comme la lune montrant le bout de son nez le soir venu, je sais me faire entendre et hurler quand la situation l’exige quitte à m’époumoner jusqu’à la limite de l’évanouissement, mon visage prenant alors une teinte blafarde. Au fait, maintenant que j’y repense, je ne comprends pas la raison pour laquelle mes copains et copines m’attribuaient le nom d’Al-Qamar sachant que mon comportement est similaire à l’ensemble de la population de Gaza ». Alors que Al-Layl continuait à égrener sa mémoire, une bombe tombée non loin du bunker se fit entendre. Al-Matar de son côté laissa s’écouler de ses yeux des trombes d’eau de larmes d’espoir, implorant Allah pour que ses larmes de prière noient un jour les responsables du conflit israélo-palestinien.
Ceux qui ont du sang sur les mains n’arriveront pas à anéantir la femme amoureuse des mots qu’elle a toujours été. Quand bien même les tyrans voudraient la faire taire, jusqu’à son dernier souffle elle serait capable de se blottir contre une peau de mots réconfortants, mots mémorisés depuis son enfance quand sa mère au moment de s’endormir, avait l’habitude de les lui chuchoter à l’oreille. Aujourd’hui, c’est à elle de transmettre à Al-Layl la beauté de ces mots et dans un souffle long et chaud elle se mets à réciter, sans même y réfléchir les vers de Mahmoud Darwich :
…l’espoir est par chance du voyageur,
Le jumeau du désespoir
Ou sa poésie improvisée.
Si le ciel est gris,
Que je vois une rose pointer soudain
Des fissures d’un mur,
Je ne dis pas ; Le ciel est gris,
Mais je fixe longuement la rose
Et je dis : Quel jour que ce jour !
Extrait de : Et la terre se transmet comme la langue, Mahmoud Darwich, p124. Editions Babel.
Eléments de compréhension
Al-Layl : signifie la nuit en arabe لَيْل
Al- Matar : La pluie en arabe مطر
Al- Qamar : la lune en arabe قمر



