
Mon espoir est rance.
Il s’est rouillé comme le cuivre,
et s’oxyde au contact de mes courbures.
Mon corps s’est liquéfié,
et coule lentement entre mes coudes.
La nuque, le savon et l’odeur du caramel s’estompent —
corrosion de la peau, tendresse de l’intime.
Question d’éclats, question de fraîcheur.
La salle poétique s’est vidée
Comme un reste du soleil emprunté à Klara
Quand Sabrina et moi étions neufs,
on nous avait promis un centre,
une place juste au milieu —
près de la table en formica,
et des chaises encore brillantes.
La maison devait commencer là.
Nous ne serions plus dans la vitrine.
Nous pourrions voir la rue.
J’aimais la hauteur du pavillon.
Sabrina, elle,
restait près de moi,
le chien posé à ses pieds,
comme s’il comprenait déjà.
Tout devait rentrer dans l’ordre.
Je veillais.
Je me relevais pour vérifier.
Je retournais m’asseoir,
pour veiller à nouveau.
Le geste était mon seul abri.
Je voulais dire quelque chose.
Mais à qui ?
Il fallait garder la place,
tenir la place.
La peur revenait :
redevenir plus faible,
se perdre à nouveau dans les angles.
Sabrina disait doucement :
— Reste calme.
Puis, désignant le parquet :
— Regarde, c’est le motif.
Si tu es inquiet, pense-y.
Il n’y avait plus personne dans ma mémoire.
Elle, penchée sur des étagères roses,
rangeait encore,
comme on respire quand on n’a plus d’air.
Je fis deux pas.
L’endormissement vint, à mi-chemin.
Elle tendait les mains vers la lumière.
Ses doigts, déjà, s’effaçaient.
Rien ne voulait rester.
Quand je revins,
elle tapotait mon épaule,
doucement, sans effet.
— Olivier, tu es trop avide !
Les DI sont si goulus ! et tu vas devenir Papa !
Je n’y étais pour rien,
j’étais encore si neuf.
Alors la lumière se retira du plancher,
et glissa lentement sur son visage —
comme un reste du soleil
emprunté à Klara.
Depuis cet élan,
le banc du jardin est devenu leur lac.
Ils se parlent peu.
Ils regardent les voitures, les affiches,
et la lueur du ciel.
Sabrina se caresse souvent le ventre, maintenant.
Elle le fait sans honte,
comme un témoignage de rêve.
— J’aimerais qu’il s’appelle Léo…
ou bien Jade, si c’est une fille.
Olivier apprend à écouter.
Il dit simplement :
— Faut beaucoup s’occuper d’un bébé.
Et elle répond :
— Oui, mais moi, j’ai de l’amour. Plein.
Ils se tiennent debout à la sortie de l’atelier,
s’aident à remplir les papiers,
se cherchent du regard au moment des repas.
Sabrina confie un jour :
— Quand tu me regardes,
j’ai moins peur de tout.
Olivier pensait qu’avant,
il était tout seul dans sa tête.
Maintenant, dit-il,
j’ai un dedans avec moi.
Personne ne veut briser leur rêve —
seulement le faire tenir dans le monde réel.
Entre eux,
dans leur monde simple et tendre,
tout cela n’a pas de mots :

c’est un effleurement chaud sur l’autre,
un regard qui accueille,
un projet qui ne se dit
qu’avec le cœur.
Et l’idée d’un bébé reste —
douce, lumineuse,
comme un fil
qui la relie au monde.
Serge Papiernik



