
Dino Risi, dans sa période la plus faste. Il vient de tourner, entre autres (5 films en 3 ans!), deux chefs d’œuvre : “Una vita difficile/ Une vie difficile” et “Il Sorpasso”, “le Fanfaron”.
Avec les monstres, en vingt tableaux, Risi réinvente la comédie à l’italienne. Critique sociale, film politique, caricature.
D’abord et avant tout du cinéma. Un noir et blanc en cinémascope. Deux acteurs d’exception (Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi). Une écriture concise qui fait mouche. Une cruauté jubilatoire.
Tout y passe: la politique, la religion, la justice, la police, le sport, les classes dirigeantes, les pauvres, le cinéma, la famille. Que sauver dés lors dans cette monstruosité générale? Le rire, la vitalité, la lucidité, bien sûr, et le talent. On se prend à rêver au même talent, à la même lucidité appliqués à l’Italie d’aujourd’hui.
Cela commence par un père, jovial, sympathique, et aussi voleur, tricheur, resquilleur. Mais l’on n’est père que si l’on a un fils. Et ce fils suit si bien les conseils qu’il reçoit, qu’il va tuer le père et le voler. Et c’est drôle et féroce, drôle parce que féroce.
Nul besoin de convoquer les mythes ou Freud pour savoir que le meurtre du père, surtout en préambule, ne saurait être innocent. C’est le moins que l’on puisse dire. On peut par contre convoquer la mémoire d’un autre fils, d’un autre père, d’un autre vol, de bicyclette celui-là, car Risi connaît ses maîtres, j’allais dire ses pères.
Cela continue par une galerie de monstres, tellement humains, le grand cirque de Risi, fascinant et irrémédiable.
Cela finit par un boxeur, et un spectateur, sonné. Conte cruel de nos petitesses. Et sous ce vitriol, la chair brûlée des hommes, ce qu’il reste de nous sur les plages quand tout nous a quitté, le cerf-volant de l’enfance, l’eau salée de la mélancolie.

L’Italie de 1963 pourrait donc ne sembler aucunement désirable, vouée au machisme, à la veulerie généralisée. Monstrueuse donc? Peut-être mais comme le dit Orson Welles dans “Le troisième homme” de Carol Reed :”En Italie pendant trente ans sous les Borghias, il y avait la terreur, la guerre, des effusions de sang et des empoisonnements. Mais cela a donné Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. En Suisse, il y a eu cinq cents ans d’amour fraternel, de démocracie et de paix. Qu’a produit tout cela? Des coucous.”
Ce serait également oublier les cinéphiles, car dans cette même Italie, la même année, Fellini sortira “Huit et demi”, Visconti “Le Guépard”, Bolognini “La corruption”, De Sica “Hier, aujourd’hui et demain”, Ferreri “Le lit conjugal”, Rosi “Main basse sur la ville”, Pasolini “La rabbia” et “La ricotta”, Bava “Les trois visages de la peur”. Excusez du peu!
Ces films, comme ceux de John Ford, nous donnent peut-être la nostalgie de pays qui n’existent pas, et qui s’appelleraient le cinéma.


