Il faut apprendre des erreurs des autres. Orelsan, c’est ce rappeur caennais (de Caen, donc) qui depuis plusieurs années fait un tabac auprès de notre jeunesse, et pas seulement. Dans sa chanson récemment sortie « L’Odeur de l’essence », le rappeur utilise à plusieurs reprises le mot « mongol » : « On prend des mongols, leur donne des armes / Appelle ça justice, s’étonne des drames », « Depuis que les mongols sont devenus des experts / Entourés d’mongols, l’Empire mongol / On fait les mongols pour plaire aux mongols » !
C’est du rap… Et tout à coup, on voit une association promouvant la musique nomade de Mongolie qui appelle au boycott de l’artiste, à l’annulation de ses concerts, parce que l’emploi du mot « mongol » dans ce contexte serait un « usage raciste et discriminatoire », puisqu’ici il renvoie à une personne idiote et non à un habitant de la Mongolie, et que donc la confusion entretenue par la chanson serait « non seulement insultante, mais porte aussi atteinte à l’identité mongole et banalise le non-respect envers la dignité humaine ». C’est une erreur d’agir ainsi, et voici pourquoi :
Orelsan et les polémiques délirantes
Tout d’abord, si l’association a tout à fait raison sur le fait que le terme « mongol » signifie « relatif à la Mongolie », son emploi pour dire « idiot », dérivé de « mongolien », est courant dans la langue parlée. Cependant tout autant que les Mongols, les mongoliens méritent notre respect. Mais « mongol » en argot, c’est encore un sens différent qui signifie « bête et méchant ». Et personne ne s’y trompe ni ne pense que dans cette chanson, l’auteur s’en prendrait au peuple ou aux coutumes mongoles.
Ensuite, l’auteur a déjà fait les frais de polémiques délirantes. En 2009, il avait défrayé la chronique avec sa chanson « Sale pute », qui racontait on ne peut plus crûment l’histoire d’un gars, qui trompé par sa fiancée (la « sale pute ») lui souhaite pis que pendre, et exprime sa volonté de lui faire les pires atrocités. Vous imaginez que les paroles utilisent un autre langage que celui de ce bien triste paragraphe.
Donc, en 2009, ce fut un raz-de-marée pour le pauvre rappeur. Tous les médias ne parlaient plus que du scandale Orelsan / Sale Pute, il était accusé partout d’inciter à la haine, de favoriser la violence faite aux femmes, et j’en passe et des meilleures. Des ministres s’insurgeaient, des députés en parlaient à l’Assemblée nationale, le monde politique s’indignait, et il écopait d’un procès déclenché par la plainte de plusieurs associations (d’ailleurs pas à propos de ladite chanson, qu’elles avaient correctement identifiée comme une fiction, mais à propos d’autres paroles de chansons), procès qu’il gagna définitivement en 2016.
Et le fils de pute de Romain Gary ?
Il faut dire que c’était un peu comme si l’on prétendait que des tableaux représentant le Christ sur la croix incitaient à la violence envers les chrétiens. Et si nos chers députés et autres contempteurs du rap, tel Éric Zemmour qui considère que « le rap est une sous-culture d’analphabètes », étaient choqués par les termes crus de « Sale pute », il eut fallu leur demander ce qu’il fallait faire du formidable roman avec lequel Romain Gary remporta son deuxième Prix Goncourt sous le nom d’Émile Ajar : La Vie devant soi, qui raconte l’histoire d’un « fils de pute », au sens propre, élevé par une ancienne « pute juive », roman plein de « sales bicots », de « salopes », de « vieilles putes » et de personnes qui « se défendent avec leur cul ». On se demande si le prix Goncourt ne mérite pas le bûcher pour cela.
Mais pour en revenir à Orelsan, à l’époque, toute la tournée de son album avait dû être annulée, c’était la catastrophe pour le chanteur. Pourtant, malgré cela, malgré ce passage à vide, violent et plutôt immérité, il a sur le long terme continué son ascension et est devenu une pure icône du rap français, chacun de ses albums successifs rencontrant un immense succès. En plus, franchement, le rappeur est sympa, touchant, et il est bon, tant dans ses textes que dans son flow, dans un style qui n’appartient qu’à lui. Aujourd’hui, le clip qui accompagne « L’Odeur de l’essence » accumule les millions de vues. Alors, s’attaquer à lui pour quelques paroles mal comprises, c’est une erreur. Non pas parce que le nombre ferait la légitimité à tous les coups, mais parce que ce nombre montre que des millions de personnes apprécient son message, comme avant eux des centaines de millions l’avaient exprimé avec le rock’n roll et autres musiques du diable. Ce qui ne fait pas des jeunes de notre bel aujourd’hui des tueurs de Mongols.
La catégorie des abrutis
J’ai beau être attiré par la culture mongole, et avoir un grand respect et une affinité pour ce pays et ce peuple que je n’ai jamais visité chez lui, ce n’est pas en tentant ce genre de polémiques stériles qu’on lui rendra honneur. Encore une fois, personne ne confond. Personne n’écoutera la chanson et se dira : « putain, les habitants de Mongolie sont vraiment des abrutis ! » Par contre, celui qui s’en prend bêtement au rappeur Orelsan et lui fait de mauvais procès, a des chances de finir catalogué dans la catégorie poids lourd desdits abrutis. Je ne dis pas ça pour l’association en question que je ne connais pas, mais à qui je recommande tout de même de prendre de la hauteur, dans une attitude plus philosophique, plus emprunte d’humour mongol, au sens propre et premier.
En plus le rap, ça fait du bien.
Le clip « L’Odeur de l’essence » :