
Pour tous les hommes qui ont été confrontés à la guerre, le dégoût de celle-ci est bien dû au fait de l’avoir connue. Soit dans leur chair, soit dans celle des autres ; les pères, les frères, les amis. Sinon, quelle abstraction ! Comme celle de la mort. Quoi de plus abstrait en effet que l’objet privilégié d’histoires, de romans, de films ; batailles, combats tant de fois héroïques, ou tellement horribles qu’ils en deviennent plus abstraits encore.
Louis Guilloux est aujourd’hui surtout connu en tant qu’auteur du Sang noir, roman sur la guerre à l’arrière, la guerre de l’arrière. La province en 1917 y est loin du front et pourtant si touché par la mort et son cortège de désillusions.
Ami intime d’André Malraux et d’Albert Camus. Dis comme cela, c’est chic, mais que cela peut-il dire de l’homme Guilloux ? Malraux avait défendu Le Sang noir après son échec au Goncourt 1935. Guilloux rencontra Camus en 1945 chez Gallimard, sous les auspices de Jean Grenier, ami du premier et professeur du second. Ces fils du peuple ayant vécu la pauvreté et marqués par la guerre se sont trouvés. Seuls d’abord puis ensemble, ils sont restés libres, refusant toute assignation, fut-elle de gauche. Ils ont lutté contre l’abjection qu’exsudent les idéologies et les chimères inhumaines de l’abstraction, il ont dénoncé les spécialistes du « progrès ». On aura compris que ce dernier, dans cette acception, est un faux-semblant…
En 1914, Lucien Camus, un des 1 315 000 soldats français morts pendant la Première guerre mondiale expirait à Saint-Brieuc des suites de ses blessures reçues à la bataille de la Marne. Que venait-il donc faire à Saint-Brieuc ? Il y était soigné à l’hôpital, à l’arrière justement.
En 1947, Albert Camus rend visite à Louis Guilloux et va se recueillir sur la tombe de son père Lucien. Guilloux le reçoit chez lui en frère. L’amitié indéfectible des deux écrivains durera jusqu’à la disparition de Camus en 1960.
Éric Desordre



