
Il y a quelques mois, je me promenais dans le quartier avec une voisine. Comme nous passions devant l’immeuble où est apposée la plaque : « Ici vécut Ernest Mangefer, explorateur, découvreur du Poitou oriental », nous en vînmes à deviser sur le nom des rues. Bien sûr, il y a, comme partout, des incontournables. Des boulevards Victor Hugo et des rues Jean Jaurès, des places Gabriel Péri et des avenues Charles de Gaulle. Mais il y a aussi la rue Mathurin Dugenou, conseiller municipal 1871-1885, l’esplanade Léonce Pissefroid, écrivain très local, et l’avenue Joseph Tomboulard, inventeur du fer à cheval. Bien peu de femmes, il est vrai.
Je déplorai, qu’au lieu de ces illustres inconnus, ne soit pas plutôt célébré l’inventeur du fromage, bienfaiteur de l’humanité qui, selon moi devrait avoir droit à une statue. La voisine me dit que, justement, en parlant de statue, il serait bon de remplacer celle du sergent Palsembleu par celle de Marie Curie* ou de Germaine Tillion, par exemple. Je répondis que je souscrivais volontiers aux deux.
Malgré tout, je lui demandai pourquoi remplacer la statue du sergent plutôt que d’en ériger une nouvelle ailleurs. Elle me répondit que ledit sergent avait tué des innocents pendant la bataille des Dardanelles. Je m’extasiai de son savoir. Il est vrai qu’un militaire tuant des gens, c’est choquant, surtout en temps de guerre. Alors qu’elle m’expliquait également que le Comte de la Ritournelle, qui donnait son nom à une impasse, avait en 1812 possédé des esclaves, qui plus est à une époque où c’était légal, un autre voisin nous avait rejoint, qui trouvait que la place Raoul Gétoufaud devait être rebaptisé car il était, de notoriété publique, un misogyne déclaré, de même que la rue Hypolitte Hissefaitard, car il était historiquement contre la loi Padepot, qui avait institué le port du casque obligatoire à trottinette.
Devant tant d’assaut de savoir historique et de conscience citoyenne, je leur dis que je me sentais illégitime à prendre position, car j’avais moi-même un oncle ayant fait la guerre d’Algérie et une arrière grand tante qui avait été mère maquerelle. Je me disais intérieurement qu’à appliquer ce principe d’effacement punitif, nous allions être un certain nombre à devoir changer de nom, ayant tous potentiellement, statistiquement des aïeux escrocs, incestueux, maltraiteurs d’enfants, violents en tous genres. Je me gardai bien de formuler ma remarque et rentrai chez moi.
Il y a quelques jours, revoyant la même voisine, je m’étonnai de ne plus voir le voisin en question. Il avait paraît-il quitté le quartier, à la suite de recherches généalogiques.
*Marie Curie a eu cette phrase magnifique : à un journaliste qui lui demandait quelle impression cela faisait d’être mariée à un génie, elle répondit « Je ne sais pas, demandez à mon mari ! ».



