
La préface est de Jean-Luc Maxence, qui fait l’éloge tant du poète que du voyageur en Asie des sommets. En quatrième de couverture, Danny-Marc, elle-même voyageuse passionnée, insiste sur la particularité de ces voyages en « altitude », « au bout du monde ». La dédicace de l’ouvrage est offerte à l’alpiniste Patrick Gabarrou, le citant : « Nous ne sommes pas faits pour ce qui est fini, mais pour l’infini ». Cela correspond bien à une autre pensée de cet aventurier des sommets, citation que j’ai trouvée par hasard dans un article : « La montagne élève le regard, le cœur et l’âme ». Avec ce nom, Patrick Gabarrou, l’axe du livre est donné, l’intention, une dimension de spiritualité authentique, quelle que soit le nom qui puisse la définir. Regard, oui, voici le lien avec l’infini, la recherche de beauté du poète-photographe. Deux exergues. Hermann Hesse, pour le regard sur le réel, modifié, et l’union avec ce qui est vu, perçu : « Maintenant, il était auprès de ces choses, il en faisait partie ». Et Montaigne, pour la sagesse de l’accueil de ce qui est : « ce qui m’est donné ».
Deux parties. « Népal dans la brume » (Automne), et « Aux montagnes, vers les forêts » (Hiver). Les titres des chapitres ont deux fonctions, situer lieu et temps, d’une part (donner des repères), et indiquer une direction (un sens, un climat intérieur). Toute la structure est composée de proses agencées selon un double itinéraire (le voyage, extérieur, et la démarche intime). Je remarque l’alternance entre des textes denses, d’une page ou deux, rarement plus, et des fragments, bien isolés, distincts de ce qui précède, dans lesquels domine encore plus le regard, avec des notes de couleur, mêlant la mention du concret, accentuée par la brièveté, et la notation d’un écart entre certaines trivialités des choses vues et la dimension sacrée de l’univers traversé.
Premier texte d’automne, « La ville des signes », Katmandou. Une image qui ne correspond pas aux chroniques habituelles qu’on peut lire dans des récits de voyage à la découverte de cette ville. C’est une photographie ironique et poétique, avec ces fils électriques mêlés en spirales multiples où le voyageur voit « de gigantesques barbes à papa ». Ville « des signes » pour la présence d’innombrables messages (annonces, publicités, slogans) envahissant « le moindre à-plat vertical ». Modernité dans la pauvreté. Ici, « tout est courage ». Départ, c’est « Une route des possibles ». Bus, pour quitter la ville vers « les pentes pré-himalayennes ». La route révèle aussi une multitude. Camions, voitures locales avec l’effigie de Bob Marley alors que plus haut règne Shiva, « statue géante ». Humour, les « possibles » de cette route croisent les frayeurs de l’émission sur les routes de « l’impossible », roue dans le vide comprise. Heurt, « les détritus qui jonchent le moindre sentier » et la beauté d’une « nature sublime ». Heurt, encore, les habitants ne semblant voir que le sacré « partout ». Comment situer la « recherche spirituelle », du voyageur dans cet univers sacré différent ? Pays du Bouddha, le Népal, rappelle-t-il, mais pays hindouiste. La nature… Des « arbres immenses, d’essences inconnues » et d’autres plus communs, et toujours la pluie. Animaux, des singes. Lac « sacré », ses baigneurs « dévots », et « les restes des offrandes à Shiva » jetés tout autour, encore cet étonnant mélange. Un fragment résume en une ligne cette partie du voyage, son univers : « Des singes mouillés au lac sacré, eaux ». Expression d’un des compagnons du voyage, « La boîte à rêves » est en fait rêve d’ascension.
Deuxième partie, Hiver… Katmandou, de nouveau, et départ vers les routes. Étape, lieu des moines et de statues « couvertes de safran » et « lunette astronomique » des moines. Ensuite, regard critique sur l’aberrante file de « grimpeurs » d’Everest, l’exploitation (dangereuse) des sherpas. Il va participer à un projet (« équiper un nouveau passage ») avec des « barreaux d’acier ». D’où le nom de « ferrailleurs de l’Everest ». Entreprise avortée, trop de froid. Retour à Katmandou. Hôtel, le blanc de l’humide chambre, impression de vide. Questionnement existentiel et plus, sur la perspective qu’évoque la culture de ces lieux, malgré les mendiants dans les rues, la pensée de l’Éveil. Le pays serait-il un temple qui force au retour sur soi, pour mesurer le chemin (« encore loin de l’Éveil ») ? Lui et ses amis repartent, vers l’Inde, longeant une rivière sans l’atteindre. Animaux, en marge des villes ou dans la forêt, éléphants domestiqués ou pas, et traces de tigres. Rivière, univers d’oiseaux. Bus, ville, les gens, vie foisonnante. Départ, avion. Dernier mot : « voyage ».
Marie-Claude San Juan
Recensions par Marie-Claude San Juan
http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2025/07/20/trois-livres-d-eric-desordre-6556091.html
Les ferrailleurs de l’Everest, Le Nouvel Athanor, 2024. Page libraire (lire « Alors fermons les yeux et laissons-nous guider… ») :
https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/les-ferrailleurs-de-l-everest-9782356231208/



