
Ils avaient envie d’un petit séjour à Paris. Pour être rien que tous les deux, en amoureux, pour se retrouver et profiter de la ville, en juin. Après tant de difficultés, le confinement, toutes les complications de la mise en place de visites à domicile et de soins pour leurs vieux parents en Dordogne, les travaux dans la maison qui avaient tourné au fiasco complet, la société à laquelle ils avaient versé des arrhes qui met la clé sous la porte et le pire de tout, le commercial qui était le fils d’un de leurs amis et qui, sans broncher, plusieurs fois, avait pris les mesures de la pièce à refaire, était venu les rassurer sur le planning des travaux à venir et nier les difficultés de l’entreprise pour finalement ne plus répondre au téléphone. Ils étaient au bout du bout. Alors pourquoi pas quelques jours de vacances ? Il fut décidé de louer un petit appartement de deux pièces dans le 12e arrondissent où lui avait vécu, jeune étudiant. Une bonne idée. Airbnb, bien sûr, il faut vivre avec son temps… Par chance, le voyage en TGV se passa très bien, pas de retard, pas de panne, pas de grève. En arrivant dans le 12e arrondissement, Avenue Daumesnil, le garçon qui louait son appartement était là, tout sourire. En entrant dans les lieux, la première impression fut un peu négative, malgré la gentillesse du propriétaire. Le logement était encombré de ses affaires personnelles, ses chaussures en tas dans l’entrée dans un meuble ouvert, et derrière un simple rideau, un amoncellement de choses hétéroclites qui ne demandaient qu’à se répandre dans la pièce principale dès qu’on effleurait le dit rideau. Bon, il était à peine reparti qu’en ouvrant le frigo, elle trouva des pattes de poulets pas très fraiches qui traînaient dans le bac à légumes et, en regardant la salle de bain, la robinetterie en piteux état et la baignoire bien sale. Catastrophe. Il fut aussitôt décidé d’un commun accord de ne pas rester là, et de rappeler le propriétaire pour lui dire que, finalement, ils ne loueraient pas son appartement. D’interminables tractations commencèrent avec lui, et le central téléphonique d’Airbnb. Il fallait envoyer des photos pour prouver sa bonne foi et montrer qu’en effet l’appartement n’était pas conforme aux engagements de la plateforme. Elle proposa le remboursement immédiat des frais de ménage, mais cela n’était pas du tout ce qui était demandé : une autre adresse équivalente où se loger dans les deux heures. Après bien des palabres qui remontèrent jusqu’aux USA, il fut convenu qu’ils chercheraient eux-mêmes par Internet un autre logement à leur convenance, libre au dernier moment, et que la plateforme s’occuperait de tout pour qu’ils y soient installés avant le soir. Remboursement de la première location faite, le propriétaire revenu récupérer ses clés, furieux et abattu à la fois, écouta à peine les critiques justifiées faites, avec beaucoup de délicatesse pourtant, pour sa négligence, sa désinvolture évidentes et la saleté de son logement qu’il était impossible de louer en l’état. Et les voilà sur le trottoir avec leurs valises cherchant sur Internet une autre location de vacances libre le jour même à Paris. Bonne chance…
Il s’avéra qu’ils trouvèrent rapidement un deux pièces qui l’était et que la plateforme pouvait leur réserver aussitôt. Mais c’était dans le 19e arrondissement, plus du tout où ils avaient souhaité séjourner et un peu plus cher que le premier retenu. Bon. Ils acceptèrent et les voilà partis pour aller au point relai indiqué chercher les clés de ce nouvel appartement. C’était près du Canal de L’Ourcq, un quartier bien différent de l’Avenue Daumesnil mais pourquoi pas si l’appartement est propre et agréable. Un peu épuisés par tous ses trimballages et pressés d’enfin de se poser, ils prirent les clés que le concierge de l’hôtel leur remit et les voilà partis de nouveau avec leurs valises à traîner. Un kilomètre plus loin, ils arrivent à la résidence dont il fallait franchir les grilles en retrouvant le premier code à ne pas confondre avec le second qui ouvrait la porte de l’immeuble et les voilà qui suivent les instructions de la plateforme pour trouver l’appartement, premier étage, fond du couloir, à droite. Il met la clé dans la serrure, elle y entre difficilement mais n’ouvre pas la porte. Il refait en arrière le chemin pour bien suivre les instructions, on ne sait jamais, fatigués comme ils le sont désormais, ils ont peut-être mal suivi les consignes. Rien à faire, la clé n’ouvre pas la porte. Dans le couloir, devant la porte, ils appellent de nouveau la plateforme. Incompréhension. On leur dit d’attendre. On les rappelle. Il faut revenir au point relais, il y a peut-être eu une confusion, il faut prendre les clés réservées aux dames de ménage qui sont bien étiquetées et cela devrait s’arranger. Ils seront une nouvelle fois dédommagé de ce nouvel incident. Et les voilà, faisant le chemin à l’envers jusqu’à l’hôtel où le concierge, dubitatif, ne voit pas pourquoi la clé confiée ne convient pas mais bon, il leur donne la clé de ménage et ils repartent pour leur kilomètre de rues en traînant leurs valises. Une fois devant la porte de l’appartement, ils se regardent inquiets quand même avant d’essayer d’ouvrir.
— J’espère que je vais enfin pouvoir me poser, dit-elle, au moment où la clé dans la serrure ne tourne pas plus que la précédente.
Là, elle tombe assise par terre devant la porte et dit seulement en murmurant :
— Waouh… Là, c’est une blague…
Ils rappellent la plateforme. Après un long moment d’attente, on leur donne un numéro de téléphone, celui de la société qui gère cet appartement pour eux à Paris et qui a fourni le plan d’accès à l’appartement. Ils finissent par joindre le standard de cette entreprise qui leur dit d’attendre sur place qu’on les rappelle. Un garçon, visiblement un étudiant qui fait ce job pour payer ses études, les rappelle et leur relit au téléphone les consignes d’accès à l’appartement dont il a, sous les yeux, la fiche. Cela dit exactement la même chose que les consignes dont ils disposent et qui fait que la clé n’ouvre pas la porte de l’appartement. Le garçon dit :
— Je n’ai personne à cette heure pour venir sur place vous aider, j’enverrai un coursier demain matin, en attendant je peux vous proposer un autre appartement pour ce soir. Je vais voir ce que j’ai.
Au bout d’un moment, il rappelle et propose un appartement équivalent au leur, mais dans le 10e arrondissement. Faute de mieux, ils acceptent. On leur promet encore un autre dédommagement. À la fin, le séjour sera gratuit, mais à quel prix…
Les voilà repartis. Rue du Château Landon. Encore un hôtel point relais à visiter, heureusement juste au bout de la rue où l’appartement se situe. Les clés sont quasi les mêmes que celles du Canal de l’Ourcq, avec le même badge jaune de la société de location. Ils arrivent enfin – il est déjà tard pour aller dîner quelque part – ils franchissent la grille d’entrée, la porte de l’immeuble, montent les étages, malheureusement sans ascenseur dans cette location contrairement à l’autre, arrivent au cinquième, avec des valises qui sont devenues des ânes morts à traîner, et là, au moment de mettre la clé dans la serrure, un ange passe. La clé entre comme il faut et ouvre la porte. Alléluia ! Alléluia ! Elle se met à chanter la chanson de Léonard Cohen. L’appartement est petit mais fonctionnel, très propre et bien équipé. Ouf ! Ils sont censés rendre les clés en fin de matinée le lendemain, revenir au point relai du canal de l’Ourcq où un coursier de la société de location les attendra pour les accompagner à leur appartement et ouvrir lui-même la porte. Les choses s’arrangent enfin. Ils ont faim et espèrent trouver quelque chose d’ouvert encore dans le quartier, et décident de ressortir au plus vite. Les deux jeux de clés sont sur la table, il prend l’un d’eux, sort sur le palier, elle le suit et claque la porte alors qu’il veut aller vérifier si la clé dans sa main est la bonne. Malheur ! C’est celle du canal le l’Ourcq… La clé de l’appartement est dedans, ils sont dehors. La comédie des vacances continue. Elle pleure, assise sur la marche de l’escalier et lui, il respire très fortement pour ne pas sombrer…
Après un moment de consternation commune, ils décident de rappeler l’étudiant qui leur a trouvé l’appartement pour un soir. Il répond quand elle lui explique qu’ils ont confondu les deux jeux de clés et claqué la porte avec la bonne à l’intérieur :
— C’est une blague ?
Au bout d’un certain temps d’atermoiement, il rappelle :
— J’ai peut-être une solution. Il y a un local où nous avons tous les doubles des clés des appartement que la boîte gère. Je vais voir si je peux y accéder et si je trouve le double de vos clés, je vous envoie un coursier pour vous les remettre devant l’immeuble.
Brave garçon ! Le temps passe encore, ils sont dans la cour de l’immeuble, une jolie cour aménagée par les habitants de l’immeuble en espace convivial. Les gens leur sourient quand ils passent devant eux qui attendent assis par terre qu’on leur remettre un double des clés. En regardant sur son téléphone, dans l’attente anxieuse d’une réponse positive de l’étudiant qui cherche le double des clés, elle voit que l’ancien nom de la rue du Château Landon, autrefois, était « Rue du Chemin-des-Potences ». Un nom prédestiné pour eux, en ces circonstances où leur mésaventure interminable aurait pu les conduire à un certain désespoir. Elle se plonge alors, pendant plusieurs minutes, dans la recherche sur Internet de l’histoire de cette rue en consultant le Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, daté de 1844, dont les frères Lazare, Félix et Louis, employés de la Préfecture de la Seine, étaient les auteurs. Rien n’est plus réjouissant que les dictionnaires des noms des rues et des lieux, c’est une inépuisable source de rêverie. Elle lui permet de patienter de longues minutes. Le garçon rappelle. Il a la clé. Il va envoyer quelqu’un, mais il faudra patienter car il est tard et il ne sait pas si un coursier peut encore faire le job. Si, il y en a un. Il arrive bientôt. Au bout d’un temps impossible à estimer pour eux, un grand gaillard jovial arrive en moto et leur tend la clé. Elle l’embrasse et le coursier rit de sa bonne fortune. Il repart et eux, enfin, rentrent de nouveau dans leur appartement d’un soir.
Épuisés, et n’ayant même plus faim, ils sortent pour boire au moins un verre quelque part. Lui, qui écrit notamment des pièces de théâtre se dit que, comme il vient de finir l’écriture de sa dernière comédie, Le complexe de Janus, il a peut-être dans leur malheur une piste pour une nouvelle pièce. Ils trouvent un café ouvert où il n’y a plus qu’un homme et une femme visiblement saoule au bar. Et là, la bière qu’ils s’offrent a le goût de la vie retrouvée. Ils ont trouvé une épicerie de quartier ouverte où ils se sont achetés deux trois choses à manger. La patronne du bar leur apporte des serviettes avec le sourire et le couple au bar les entreprend dans une conversation de bistrot à pas d’heure qui ressemble à une mauvaise pièce de boulevard. Ils fuient gentiment et rentrent dans leur chez eux du soir.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, si, le lendemain, les choses n’avaient pas tourné encore de manière particulière. Qui dira que cette mésaventure est inventée… Tout est vrai. Les auteurs de comédies, les poètes les plus farfelus, ne trouvent pas dans leur imagination sans limite de sujets plus invraisemblables que ce qui va suivre…
Ils repartent donc le matin suivant vers 11 heures pour retourner à l’hôtel relais du Canal de l’Ourcq. Là, on leur dit que le coursier qui doit les accompagner et ouvrir lui-même la porte récalcitrante n’est pas encore arrivé et qu’ils sont invités à aller déjeuner dans le restaurant d’en face, tous frais payés par la société de location, dans une mesure modeste toutefois. Pendant qu’ils attendent leur plat, arrive un jeune homme tout sourire qui leur propose d’aller seul voir sur place pendant qu’ils déjeunent et il reviendra leur donner la bonne clé ensuite. Le voilà parti sur sa vespa et au bout d’une demi-heure de retour avec le même sourire.
— C’était normal que vous ne puissiez pas entrer dans l’appartement indiqué, ce n’était pas le bon. Le vôtre est bien au même étage qu’indiqué mais à gauche de l’ascenseur et non à droite. C’est une erreur d’étiquette… Je vais le signaler à la direction.
Lui, sans le laisser finir ajoute :
— Et on va nous dédommager…
— Voilà, dit le garçon, c’est normal. Très bonnes vacances à vous. J’ai collé sur la bonne porte une gosse gommette jaune, vous ne pourrez pas vous tromper. Vous serez dédommagés, ne vous inquiétez pas.
Ils finiront en effet par n’avoir plus rien à payer de ce séjour, mais à quel prix… Les voilà repartis avec leurs valises pour un kilomètre de rues parisiennes et là, enfin, ils entrent dans l’appartement près du canal de l’Ourcq. Il est grand, propre, lumineux, bien équipé. Il donne sur un jardin intérieur où les chants d’oiseaux résonnent comme dans une cathédrale. Ah, il n’y a pas de cafetière. Ils vont le signaler. Encore un dédommagement peut-être en perspective… Deux jours passent. Et puis, un soir, alors qu’elle cherche à faire fonctionner le sèche-linge, elle ouvre la trappe sur la façade de l’appareil et voit dedans une chose intrigante. Dans le filtre à spirale qui s’y trouve, il y a des cartes d’identité, une bonne dizaine de cartes d’identité et des cartes Sim neuves pour téléphones jetables, une bonne dizaine aussi. En regardant de plus près, elle s’aperçoit que les cartes d’identité ont pour 5 d’entre elles le même visage sur la photo mais pas le même nom, et les 5 autres un autre visage et des noms différents aussi. Ils en discutent, évoquent la nécessité d’aller voir la police pour leur signaler leur trouvaille dans cet appartement de location, puis, estimant l’improbable et difficile aventure qui fut la leur dans ce séjour d’après covid et autres misères de leur vie actuelle, ils laissent passer une journée puis deux sans prendre de décision. Le temps du bonheur est si fragile. Comme un fragment d’éternité auquel il ne faut surtout pas renoncer. Ils remirent les cartes d’identité et les cartes Sim dans la trappe du sèche-linge et rentrèrent chez eux sans en parler à personne. C’était, enfin, dans ce monde de fous, quelques jours de vacances en amoureux…
Joël Mansa
(15e texte de Quelques fragments d’éternité, un recueil de nouvelles à paraître en 2026)



