L’écrivain Laurent Mauvignier , auteur phare des Éditions de Minuit, met en scène à La Colline sa pièce Proches qui raconte l’impossible retour de Yoann dans sa famille après 4 ans de prison. Un mythe puissant, le retour du fils prodigue, incarné dans un huit clos familial contemporain.
Un résumé facile : un vieux couple Didier (Gilles David) et Cathy (Nora Krief), leur fille aînée Malou (Charlotte Farcet), son compagnon Quentin ( Cyril Anrep) et leur fille cadette Vanessa ( Lucie Digout) et son compagnon Romain ( Arthur Guillot) sont réunis pour attendre la venue de Yoann, leur fils et frère ( Maxime le Gac Olanié) qui sort de quatre ans de prison. Yoann a voulu réunir ses proches auquel s’ajoute son ancien compagnon Clément ( Pascal Cervo).
Décidemment, toute littérature est avant tout réécriture : c’est-ce que l’on se dit après avoir vu le spectacle Proches , texte et mise en scène de Laurent Mauvignier. Un héritage du Théorème de Pasolini avec ce jeune homme Yoann, en marcel blanc et jogging rouge, si désiré par sa famille et dont l’attente fait voler en éclat les conventions et les dissimulations des uns et des autres . L’ange pasolinien dans une attente beckettienne. Et puis, comment ne pas penser aux pièces de Lagarce, notamment Juste la fin du monde dont l’un des thèmes favoris est le retour du fils absent ; il emprunte aussi stylistiquement le psittacisme avec des répliques qui se reprennent, s’interrompent, inachevées. Dans le théâtre contemporain des années 1990, la crise du langage dramaturgique révèle l’incommunicabilité douloureuse des personnages entre eux.
Malgré les emprunts très lisibles et qui peuvent agacer, la pièce de Mauvignier séduit . Peut-être parce que la réussite d’une pièce est autant dans son écriture que dans sa rencontre avec un public qui s’interroge, à l’heure de tous les égoïsmes et replis sur soi , sur le mal être de l’intime, sur la crise intérieure de chacun au sein d’une famille. L’incandescence cathartique du théâtre s’est vérifiée ce soir-là avec des élèves de Première, présents dans la salle, qui ont ovationné la pièce. Tous les personnages, à tour de rôle, piquent leur crise en dévoilant un mensonge, une dissimulation. Le père n’arrive pas à dire qu’il est atteint d’un cancer « j’étouffe » , la sœur Malou ne peut avouer la stérilité de son couple , la mère n’ose dire pourquoi ils ont déménagé à 600 km de chez eux, .. etc . Un fil narratif évident permet à chaque membre de la famille de définir successivement son rapport à l’absent dans des saynètes qui s’enchaînent rapidement. Chaque prise de parole est une crise qui cherche à figer dans les mots le conflit qu’un personnage entretient avec le langage et avec l’autre. Un registre souvent burlesque et des situations psychologisantes comme le refus de maternité de la mère qui aurait entrainé inconsciemment la stérilité de la fille aînée , permet d’oublier la difficulté des répliques qui s’effilochent.
Le pari de Mauvignier ? Une exploration des sentiments intimes dans un huit clos familial que la polyphonie naturelle du théâtre permet de faire entendre. C’est réussi par l’excellence actoriale , notamment le couple des parents , décalé et douloureux et la concentration de la fiction. Courez voir ce spectacle dont l’essence est de révéler la médiocrité de notre relation à l’autre et ce que « aimer » peut vouloir signifier dans ses manques . Essentiel.
Texte et mise en scène Laurent Mauvignier
du 12 septembre au 8 octobre 2023 au Petit Théâtre
du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
sauf les dimanches 1er et 8 octobre à 15h30 et les samedis 30 septembre et 7 octobre à 15h30 et 20h
Durée 1h35
Sur la route
les 12 et 13 octobre 2023 Théâtre du Bois de l’Aune – Aix-en-Provence
le 19 octobre 2023 Le Trident – Scène nationale de Cherbourg
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