Ah, les Ouïghours… Dans le vocabulaire des Nations-Unies, il existe un terme humoristique inventé pour décrire les ONG qui sont créées ou utilisées par un ou des gouvernements dans un objectif de propagande, de contre-propagande ou plus généralement pour servir ses intérêts propres. Il s’agit des GONGO*, organisations gouvernementales non gouvernementales (Government-Organized-Non-Governmental-Organization).
Les exemples sont légion, et la pratique n’est malheureusement pas limitée aux pays les moins démocratiques. Cependant, c’est bien chez ces derniers qu’elle est la plus répandue, ou plutôt qu’elle est utilisée de la manière la plus visible et grossière.
Collabos anti Ouïghours
Si vous vouliez une étude de cas, la voici : le 9 janvier, le Conseil Mondial des Communautés Musulmanes (The World Muslim Communities Council) a visité la province du Xinjiang où plus d’un million de Ouïghours (certains rapports parlent de 3 millions) ont été emprisonnés dans des « camps de rééducation » par les autorités et où les pires exactions sont commises quotidiennement contre cette population musulmane par le Parti Communiste Chinois au pouvoir.
L’ONG, inconnue encore il y a peu, était dirigée par « l’érudit » musulman Son Excellence Ali Al Nuaimi, membre du Conseil national fédéral des Émirats arabes unis pour l’émirat d’Abu Dhabi et président du comité des affaires de défense, de l’intérieur et des affaires étrangères dudit Conseil.
Le journal de propagande internationale chinois “Global Times” a alors rapporté que la visite s’est faite avec la participation de plus de 30 érudits islamiques d’Arabie saoudite, d’Égypte et des Émirats arabes unis (EAU).
La belle ONG a alors publié, sur le compte Twitter de son digne représentant des Émirats Arabes Unis, une déclaration formidable qui louait les efforts du Parti Communiste Chinois dans la lutte contre le terrorisme (tout le monde sait que les millions de Ouïghours emprisonnés, torturés ou tués sont tous des terroristes). Loués aussi furent la détermination des autorités chinoises de servir tous les gens (« servir » a-t-il un sens qui m’échappe ?) et l’emploi de discours « persuasifs » pour que les jeunes Ouïghours ne tombent pas sous l’emprise du terrorisme, avec un message de paix final : « il est nécessaire dans un cadre national d’être inclusif et de réunir toutes les identités ». C’est beau, c’est neuf ? Non, c’est GONGO.
Il y a tout de même une phrase avec laquelle je suis en accord avec Son Excellence : « Les gens raisonnables du monde entier ont besoin d’une Chine sûre, stable et prospère ». Bon, j’aurais peut-être ajouté l’adjectif « démocratique », ou encore « respectueuse des libertés individuelles » ou quelque chose du genre. Bien sûr, dans la bouche de notre GONGO héroïne du jour, c’eût été parfaitement hypocrite. Les intérêts économiques des pays représentés ne peuvent s’embarrasser de telles considérations. Lesdits intérêts économiques ont d’ailleurs bien souvent la préséance sur les intérêts individuels des persécutés, mais ici, il y a peut-être autre chose à l’œuvre : les gouvernements totalitaires doivent se soutenir mutuellement. Si la main de fer de Xi Jinping se ramollit, voire si elle est tranchée, c’est tout un modèle international qui s’écroule, et plus aucun dictateur ne sera à l’abri. Alors venons en aide à ce pauvre homme qui représente le dernier espoir de ceux qui savent que seul un contrôle total et brutal des populations peut permettre la prospérité pour tous. Pour tous ? Pour tous… ceux qui ne la ramènent pas bien sûr. Non mais !
- Les GONGO sont des organisations non gouvernementales parrainées par des gouvernements. Derrière ce terme contradictoire et presque risible se cache une tendance mondiale importante et croissante qui mérite un examen plus approfondi : les gouvernements financent et contrôlent les organisations non gouvernementales (ONG), souvent de manière furtive. Certaines GONGO sont bénignes, d’autres non pertinentes. Mais beaucoup, y compris celle mentionnée ci-dessus, sont dangereuses. Certaines agissent comme le bras armé de gouvernements répressifs. D’autres utilisent les pratiques de la démocratie pour saper subtilement la démocratie dans leur pays. À l’étranger, les GONGO des régimes répressifs font pression sur les Nations unies et d’autres institutions internationales, se faisant souvent passer pour des représentants de groupes de citoyens aux objectifs nobles, alors qu’ils ne sont en fait que des agents des gouvernements qui les financent. Certains gouvernements ancrent leurs GONGO dans les sociétés d’autres pays et les utilisent pour promouvoir leurs intérêts à l’étranger.