
(épisode précédent) L’adversité peut être omniprésente sur la route. Certains films n’abordent même que cet aspect.
Dans Point Limite Zéro, film culte des poursuites automobiles s’il en est, Kowalski fait le pari risqué qu’il peut accomplir une course improbable : convoyer une Dodge Challenger blanche de 1970 de Denver à San Francisco en deux jours, ce qui est normalement impossible par la route (2012 km !). Mais sa Dodge est une bête de course avec une vitesse maximale de 260 km/h ! Et Kowalski s’est muni d’une quantité suffisante de Benzédrine (une puissante amphétamine) pour rester éveillé pendant le voyage.
S’ensuit une course poursuite infernale entre lui et la police de divers états qui a eu connaissance de son pari. Popularisé par un DJ black et aveugle, Super Soul, qui voit en lui un rebelle à aider, Kowalski va devenir une sorte de héros malgré lui, les humbles gens se reconnaissant dans son refus des normes. La police va découvrir qu’il n’est pas n’importe qui : un ancien du Vietnam et pas des moindres !
Pour finir, Kowalski, face à un barrage qu’il ne pourra forcer, préfèrera se projeter dessus que de se laisser arrêter. C’est curieux : il faut toujours que les guerriers de la route finissent dans la mort, comme une sorte d’apothéose, comme s’il n’existait pas d’autre issue honorable…
Woody Guthrie est un baladin incontournable de l’Amérique. Ses chansons ont inspiré bien des artistes dont Bob Dylan, qui, selon la légende, a recueilli son dernier soupir. Woody était un idéaliste et ne se lassait de mettre en chanson la vie et les déboires des humbles gens. Très vite, une adversité s’est dressée contre lui, celle des exploiteurs en tous genres, briseurs de grèves et assassins de dirigeants syndicaux. En réaction, il a inscrit sur sa guitare « cette machine tue les fascistes ». Le film En route pour la gloire lui rend parfaitement justice et David Carradine est plus que parfait dans son rôle.
La route forme les caractères et il est certain que, sans ses escapades à travers les Etats Unis, Woody Guthrie n’aurait jamais développé un tel talent pour atteindre le cœur des gens.
La route se fait parfois à pied. Elle n’en est pas moins dangereuse. Suite à une réunion dans le Bronx des gangs new yorkais où le leader incontesté de tous les gangs est assassiné, les Warriors de Coney Island sont injustement accusés. Pour New York, le Bronx est aux antipodes de Coney Island et les Warriors vont devoir traverser toute la ville pour rentrer chez eux. Ils vont avoir tous les gangs à leur trousse qui se mettront en devoir de les détruire, par vengeance.
Le parcours des Warriors est long et dangereux. La bêtise de certains d’entre eux leur sera fatale. Leur leader, Swann, ne manque pourtant pas d’intelligence mais certains sont trop stupides pour s’en rendre compte. Le film est une intéressante étude de caractères et la façon dont ceux-ci font face aux défis de la route.
A la fin, ils devront faire face au gang qui est le véritable coupable de l’assassinat dont je parlais au début. Cette confrontation va avoir une issue… Pour le moins surprenante.
Certaines road songs n’ont inspiré aucun film ou livre et n’en font même pas partie. Mais à elles seules, elles expriment parfaitement l’exaltation de celui qui fait la route.
Quel curieux destin que celui de Train Kept A-Rollin’, chanson emblématique de la route s’il en est. Tout d’abord jump blues jazzy par Tiny Bradshaw, son compositeur, elle obtiendra ses lettres de noblesse dans le rock ‘n’ roll avec Johnny Burnette en 1956 puis par les Yardbirds en 1967.
Mais c’est Aerosmith qui en fera la version définitive en 1974. Au départ une simple incitation au voyage en train, les paroles sont devenues une métaphore sur l’endurance sexuelle. Et toutes les versions rock de la chanson parlent bien de ça : tenir la distance, le morceau étant particulièrement rapide et fourni.
(Get Your Kicks On) Route 66 est une autre chanson étonnante sur la route. La route 66 est une légende. Tout d’abord utilisée par les okies pour fuir la misère et aller en Californie (Les Raisins De La Colère), elle est presque le personnage principal du livre Sur la Route de Jack Kerouac. Elle va de Chicago à Santa Monica en Californie. Pour tous les routards américains, c’est la route de la Terre Promise, chantée par Chuck Berry.
Au départ une simple chanson de rythm ‘n’ blues, les Rolling Stones vont lui donner sa plus belle expression dans leur premier album. Un vrai festival de riffs à la Chuck Berry, un délice :
Travelin’ Light : voyager léger, être prêt à tout. J. J. Cale a vraiment sorti une sacrée chanson avec celle-là. La guitare funky exprime à merveille la route qui se déroule :
Anyway The Wind Blows, par son groove si particulier évoquant le bruit des wagons cheminant sur les rails, exprime à merveille la fuite des okies vers la Californie ou les routards comme Woody Guthrie dans leurs pérégrinations :
Epilogue
Pour finir ce cycle d’articles sur le romantisme de la route chez les américains, nul autre que Jack Kerouac ne pouvait mieux convenir à l’affaire. Le personnage nommé Dean Moriarty était son mentor, son inspiration. La fin de son livre Sur La Route s’est inscrite en lettres de feu dans l’âme de tous les routards de tous les pays :
Ainsi donc, en Amérique, quand le soleil descend et que je suis assis près du fleuve sur le vieux quai démoli, contemplant au loin, très loin, le ciel au-dessus du New-Jersey, et que je sens tout ce pays brut rouler en bloc son étonnante panse jusqu’à la Côte Ouest et toute cette route qui y va, tous ces gens qui rêvent dans son immensité et, dans l’Iowa, je le sais, les enfants à present doivent être en train de pleurer dans ce pays où on laisse les enfants pleurer, et cette nuit les étoiles seront en route et ne savez-vous pas que Dieu c’est le Grand Ours et l’Homme-Orchestre ? Et l’étoile du berger doit être en train de décliner et de répandre ses pâles rayons sur la prairie, elle qui vient juste avant la nuit complète qui bénit la terre, obscurcit tous les fleuves, décapite les pics et drape l’ultime rivage et personne, personne ne sait ce qui va arriver à qui que ce soit, n’étaient les mornes misères de l’âge. Alors je pense à Dean Moriarty, le père que nous n’avons jamais trouvé. Je pense à Dean Moriarty.



