
Épousant le flanc vert et généreux de la montagne, la vieille ville ondoie et descend par cascades colorées de ses rues vers Piazza Biagio Vitolo. Au milieu de la place, devant il municipio endormi, la fontaine et son bassin d’un bleu éclatant. Une femme en bronze surgit d’un corps marin, nouvelle sirène svelte et sensuelle : bras et seins levés vers le ciel, elle scintille dans la brume lumineuse des étincelles d’eau. Tout autour, de larges bancs de pierre grise, entre soleil et ombre, invitent à se poser.
Nous arrivons à l’heure immobile de la sieste, à peine finissante, dans l’espoir de prendre le bus qui nous ramène à la gare, au pied de la montagne qui protège la ville des bruits du monde et de son agitation. Quelques personnes sont déjà là et nous font croire que l’arrivée de la navette pourrait être imminente. Une femme âgée, petite et menue, soigneusement coiffée, porte une robe d’été simple mais élégante, comme ses sandales à cothurne et son sac à main bleu, qu’elle serre sous le bras. Elle est debout, le dos appuyé contre le mur de l’église, et regarde de temps à autre vers le fond de la rue partant à sa droite : on dirait qu’elle souhaite hâter le passage du bus. Mais le temps s’écoule et la feuille des horaires fatiguée paraît sans appel : celui de l’après-midi a bien dû partir il y a une vingtaine de minutes et le prochain est prévu dans une heure et demie… Cependant, la vieille dame ne change rien à son attitude. Elle patiente, et pourtant à l’affût, vérifie par instants le contenu de son sac et surveille la ruelle. Finalement, comme fatiguée enfin par sa station debout, elle se penche vers le pied du lampadaire devant elle et y appuie son front, protégé d’un avant-bras. Jamais elle ne cédera à l’appel muet du banc à côté. Le suivant est occupé par un vieil homme, dont ça doit être un poste habituel. Il fume cigarette sur cigarette et observe stoïquement le spectacle paisible du centre-ville. Il échange quelques mots avec un ouvrier en tenue fluo orange sale, qui se repose, probablement, à sa gauche. Finalement ce dernier se lève et s’en va lentement, pour revenir bientôt avec une canette de bière, qu’il boit avec la même lenteur imperturbable. Et lorsqu’il repart, c’est encore pour revenir, cette fois-ci déposé par une voiture, dont il salue chaleureusement le conducteur. Et pour se rasseoir sur le banc. Il ne le quittera que juste avant l’arrivée de la navette : il prendra un grand sac isotherme dans un restaurant qui se prépare à l’ouverture du soir et disparaîtra dans une ruelle adjacente. Le travail peut attendre ? Ou bien, une fois fini, c’est le retour à la maison qui lui pèse ?
Il y a encore une femme d’âge moyen, maigre, ses jambes noueuses serrées dans un corsaire rouge. Elle fume aussi, d’une manière un peu compulsive, comme celle dont elle sort régulièrement son porte-monnaie afin d’en recompter le contenu. Elle donne l’impression d’attendre la navette, mais s’en ira également peu avant son passage et rejoindra une autre femme, dans une rue voisine, repartant avec elle bras dessus, bras dessous.
Le bus arrive à l’heure dite : nous nous y précipitons, ainsi que la vieille dame, qui y monte prestement la première et s’assoit, enfin, visiblement satisfaite. Après une attente de près de deux heures, debout, dans la chaleur et l’indolence de l’été calabrais. Petit mystère quotidien, que nous emportons en souvenir de Maratea.
Bojenna Orszulak



