
VOIX 1
Tu sais, des fois, les mots,
ils sortent pas par la bouche.
Non. Le mien,
il a choisi mes pieds.
VOIX 2
Et là, il a glissé.
Mais pas un petit glissement anodin.
Un vrai patinage flou
artistique
sur tapis roulant.
Permuté.
VOIX 1
Un bégaiement doux, alors.
Un mot qui hésite,
mais avec élégance.
Comme un chat qui lape du lait
sans faire de bruit.
(Le cerveau, des fois, il oublie de trier.
Alors tout danse dedans, comme dans une boule à neige.)
VOIX 2
Mais moi, je l’ai entendu.
Pas fort.
Juste assez.
Assez pour que je reste.
Parce qu’on ne laisse pas un mot comme ça
tout seul, au bord du trottoir.
VOIX 1
Mon corps, lui, il fait ce qu’il peut.
Un sourcil qui s’envole,
un doigt dans le nez,
une passion inébranlable
pour les plaques d’immatriculation
et les boîtes de conserve.
Quand le monde fait peur ce sont parfois les détails qui deviennent essentiels :
le corps texte s’accroche aux poussières
VOIX 2
Et moi, je regarde tout ça.
Et je me demande :
ça veut dire quelque chose ?
Ou c’est justement là
que le sens déraille ?
VOIX 1
Mon cœur, c’est une batterie de free jazz.
Il improvise.
Tu ne sais jamais
quand ça commence, ni quand ça finit.
Mais ça joue.
Certains cœurs font de la batterie.
Mais ça part en parallèle. Une partition sans chef d’orchestre
VOIX 2
On voulait marcher droit.
Soldats du quotidien.
Mais on s’est retrouvés
à inventer une chorégraphie imprévue :
frottements de genoux,
tressaillements sensoriels,
et un final en crash doux
sur la moquette de la réalité.
ENSEMBLE
Épuisés. Heureux.
Et remboursés.
VOIX 1
Ma respiration donne la relation.
Mais faut que quelqu’un inspire
pendant que j’ expire.
Sinon, ça coince.
La co-régulation émotionnelle commence par le souffle. Le cortex médian
s’illumine quand la relation devient possible. Il ne demande pas grand-chose.
Juste un regard vrai.
VOIX 2
Et des fois, j’inspire, j’inspire…
et je bloque.
Bouteille fermée.
Autres fois, je soufflais trop fort.
C’est pareil.
Faut tenter plusieurs fois
avant d’accorder les rythmes.
ENSEMBLE
Pas encore remboursé alors…
Mais on y travaille.
VOIX 1
L’intérêt, c’est ce qui oriente.
Mais moi, mon compas,
pointe vers les objets verts du monde.
VOIX 2
Alors je chausse mes lunettes.
Celles pour voir l’étrange.
VOIX 1
Et puis, parfois,
alors qu’on croyait que tout était bloqué…
VOIX 2
Le corps s’ouvre.
Juste un peu.
Le souffle s’aligne.
VOIX 1
-jusque là un figurant du scénario intérieur –
prend la lumière.
Le corps texte s’illumine quand la relation devient possible. Il ne demande pas
grand-chose. Juste un regard vrai.
ENSEMBLE
Et ça…
C’est beau.
VOIX 1
Même sans mot.
VOIX 2
M’aime avec un rire.
VOIX 1
Et ce mot, cette fois,
est sorti par ma tête.
Serge Papiernik



