
La poétique du mouvement dansé : de Newton à Laban
Le mouvement, qu’il soit observable dans la chute d’une pomme ou dans la fluidité d’une danse, obéit à des lois. Newton, au XVIIᵉ siècle, a posé les fondements de notre compréhension scientifique du mouvement : le temps, l’espace, la masse et la force. Pourtant, lorsque le corps humain se met à danser, ces notions prennent une dimension nouvelle, poétique et expressive, comme l’a montré Rudolf Laban au XXᵉ siècle.
Le temps : de la mesure à la sensation
Pour Newton, le temps est une constante universelle, mesurable et indépendante du monde. Il permet de quantifier le déplacement d’un corps, de calculer sa vitesse et son accélération. Dans la danse, le temps se transforme en rythme, en suspension, en accélération ou en ralentissement, et devient une matière perceptible. Laban nous apprend à écouter chaque instant, à sentir la durée comme un souffle, un battement qui structure le mouvement.
La masse et le poids : de l’inertie à l’intensité
La masse, dans la physique newtonienne, est la quantité de matière d’un corps, sa résistance au changement de mouvement. Laban traduit cette notion en poids : non plus une grandeur mesurable, mais une qualité expressive. Un geste peut être léger comme une plume ou lourd comme un fardeau, suspendu ou porté avec gravité. Ainsi, la danse transforme l’inertie en intensité, offrant au spectateur la sensation physique du corps engagé.
L’espace : de la position à la forme
L’espace, pour Newton, est le cadre tridimensionnel où les objets existent et interagissent. Dans la danse, l’espace n’est plus seulement un repère mais une toile vivante que le corps trace et habite. Laban développe une écriture de l’espace qui distingue directions, lignes, formes et trajectoires, transformant chaque mouvement en architecture éphémère.
La force : de la cause au geste
La force, selon Newton, est la cause qui modifie le mouvement d’un corps (F = m·a). Chez Laban, elle devient énergie et effort, qualité de l’engagement corporel : presser, flotter, frapper, suspendre. La force n’est plus une abstraction mathématique mais une poésie de l’intention, un langage que le corps parle à chaque déplacement.
Newton réinterprété par Laban
Si Newton nous fournit les outils pour comprendre la mécanique du monde, Laban nous enseigne à ressentir et transformer ces lois en langage corporel. Le temps, la masse, l’espace et la force deviennent alors des matières sensibles, modelées par l’intention, la perception et l’émotion. La danse, sous ce prisme, n’est plus seulement un mouvement dans l’espace, mais une poétique vivante de l’énergie et du geste.
Ainsi, observer un corps danser revient à lire un texte écrit dans le langage universel du mouvement : un texte où chaque instant, chaque poids, chaque trajectoire et chaque effort racontent une histoire, faisant de la physique un art et de la danse une science sensible.
Serge Papiernik
Isaac Newton (1642-1727) est une figure emblématique de la révolution scientifique du XVIIe siècle, considéré comme l’un des plus grands scientifiques de tous les temps. Né en Angleterre, il a profondément marqué plusieurs domaines de la science, comme la mécanique classique, l’optique et le calcul.
Rudolf Laban (1879-1958) est un danseur, chorégraphe, théoricien de la danse et pédagogue hongrois. Important pionnier de la danse moderne, il est l’inventeur d’outils analytiques qui sont toujours utilisés dans l’enseignement du mouvement, intégrant des aspects techniques, artistiques et thérapeutiques.



