
Oui bien sûr
Il y a les plages turquoise
Les palmes lentement balancées par la brise marine
Il y a l’infinie profondeur du haut des collines
La douceur des vignobles qui s’étagent au soleil
La grandeur des pierres antiques, des pierres urbaines,
L’ocre des murs dans la fête des soirs
Images caramel d’instants universels
Images caresses comme la rosée de l’aurore
Mais curieusement
Pour moi
Le bonheur, c’est aussi
Prendre l’autobus
Exotique comme un voyage lointain
Comme un souvenir précieux
Ah ! Le 24 qui nous ramenait de la Concorde à Charentonneau
Quand je me blottissais contre ma mère
Que la Ville profilait ses façades de miel blond
Parfois le givre ou la buée me séparait de Paris
Et tirait le rideau sur ma fatigue d’enfant
Le 24, c’était la promesse de promenades,
De thé, de gâteaux fins après le Louvre
Les grands magasins, trop grands pour moi
Si petite.
Aujourd’hui, c’est un bus bucolique
Qui musarde entre les vallées du Morin
Il peine dans les montées
Et trotte sur les plateaux tel un jouet
Vaillant petit soldat des heures incolores
Prendre l’autobus
Pour voir défiler la campagne ou les rues ? Un peu
Pour prendre le temps de rêvasser ? Un peu
Pour songer à la couche d’ozone
Sans mauvaise conscience ? Un peu
Surtout – soyons honnête –
Pour être entourée de gens
Un bouquet de gens dont chaque fleur est autre
Et je me sens humaine parmi les humains
Le grand-père qui somnole, la joue collée à la vitre
L’adolescente qui vérifie son reflet et son éclat
La femme jonglant de coups de fil en messages
Le bambin sous sa casquette, ressort sur son siège
La maman qui couvre d’amour son tout petit
Ils ne me regardent pas
Ils sont affairés
Ils sont dans leur histoire
Mais je les admire
Toute l’humanité est là
Toutes les croyances, toutes les couleurs
Une mosaïque d’humanité
Belle et digne et respectable
Ils regardent le paysage sans y penser
Comme moi
Ils ont froid, chaud, peur,
Comme moi
Forts de leur volonté de bâtir et de vivre
Ils admirent le ciel pur et sourient à la pluie d’été
Comme moi
Les expériences et les épreuves
Ont lissé leurs ailes
Comme à moi
Et je les aime, ces inconnus
D’une tendresse fraternelle
Sylvie Jacobée



