
La nuit du chasseur. C’est une œuvre qui m’est chère, unique, dans tous les sens du terme, un diamant brut dans la cinéphilie mondiale, une pierre noire dans la nuit de l’enfance.
Charles Laughton, immense acteur (de “Mutiny on the Bounty” à “Quasimodo”, de “Hobson’s Choice” à “Spartacus”, passant de la comédie au drame, du film noir au péplum) réalise là son seul film, qui est depuis une des références absolues des cinéphiles.
Les films uniques ont toujours une saveur particulière (que l’on se souvienne de “Honeymoon Killers” de Leonard Kastle, ou d'”Electra Glide in Blue” de James William Guercio, par exemple) et cette “Nuit du chasseur” ne fait pas exception.
“To begin at the beginning” comme disait Dylan Thomas: un ciel étoilé, des visages d’enfants, une vieille dame qui raconte. D’emblée le ton est donné. Il s’agit d’une fable, d’une “bedtime story”, mâtinée de bible. Il y est question de loup et d’agneaux, de prophètes. Amateurs de réalisme, de véracité, passez votre chemin. C’est de conte qu’il est question. Quant à la vieille dame, elle est jouée par Vivian Gish, immense star du muet. Cinéma de l’enfance, enfance du cinéma, tout se tient. Immédiatement classique, car d’une grande modernité.
Seconde scène: La caméra part du ciel (point de vue moral, divin?) descend et découvre une ferme, des enfants qui jouent. Enfin, la caméra zoome sur la cave. Des pieds dépassent. Une femme est morte. Là encore, tout est clair: il s’agit de la découverte du mal/crime par l’enfant/innocence. Une topographie est mise en place: au cours du film, descendre sera toujours dangereux.
Troisième scène: plongée (encore!) sur une voiture, zoom sur son conducteur, Robert Mitchum/Harry Powell qui s’adresse à dieu. Il est “prêcheur”, assassin de riches veuves, un des premiers “serial-killers de l’histoire du cinéma, avec le “M” de Fritz Lang.
Nous étions jusqu’alors dans l’annonce du programme, l’histoire peut maintenant commencer. Même plongée, même champ, deux enfants. Nous découvrons John et Pearl, jouant. Leur père arrive suivi de la Police. Il a commis un hold-up et doit cacher le butin. Où? Seuls les enfants savent. Ils doivent jurer, garder le secret.
Le père, emprisonné dans la même cellule qu’Harry Powell, est condamné à mort. Désormais, ne restent que ses deux enfants, sa veuve et son butin, et Harry Powell, haïsseur de veuves et d’enfants, amateur de butin.
La suite?
Ah, la suite!
Carnaval d’ombres et de visions, chambres/cathédrales, caves sépulcrales, lièvres guettés par les hiboux, une rivière de livre d’images, une rivière des mille et pourtant uniques nuits, des enfants fuyards embarqués sur les étoiles, le chant de la proie, à l’unisson du chant du prédateur.
Où est l’ombre, où est la lumière?
Charles Laughton connaît sa bible sur le bout des doigts, Stanley Cortez, son directeur photo, connaît lui l’expressionnisme sur le bout de l’objectif.
Tout fait sens et écho. John/Jean en apôtre, il sait et révèle. Pearl/Perle en chose pure et précieuse et bien entendue cachée. Powell en faux prophète et sa fausse puissance (power/pouvoir). Icey Spoon (littéralement “cuillère glacée”) en vendeuse de glaces prête à tout avaler. Miss Cooper en mère-poule couveuse (coop). Le temps est suspendu entre deux montres, celle dont John rêve au début et qu’il obtiendra à la fin. Une fois qu’il aura libéré sa parole, expulsé la bête, l’argent, le monstre. Car bien sûr toute fable a son monstre et ce loup-là dévore les femmes et les enfants.
Bien sûr, je n’ai rien dit de la main droite ou de la main gauche, des algues qui flottent avec les morts, de Mark Twain auquel on pense (roman de l’enfance, enfance du roman américain, deux enfants sur une rivière), des victimes expiatoires, des braves gens devenus fanatiques par temps de crise (toute référence à la situation actuelle serait évidemment fortuite). Bref, je n’ai rien dit de la magie, de ce qui résiste, d’une main posée sur une autre et des plus simples offrandes.
Faut-il tout dire?
Il s’agit d’abord de tout voir. Pour cela plusieurs visions seront nécessaires.
Il n’y a pas d’age pour les bonnes histoires. Malgré tout, ceux qui, enfants, auront vu cette nuit et son chasseur ne l’oublieront sûrement jamais.



