
Je marche tête baissée, la bouche et le nez enfouis dans mon chèche. Le long du péristyle, je presse mes pas pour échapper le plus vite possible au vent infernal, chargé de sable qui s’engouffre partout, trouble la vision et irrite la gorge. Depuis mon arrivée dans la région, je n’arrive pas à m’habituer à ce vent du nord nommé Chammal qui régulièrement s’empare de la ville. Plus que quelques mètres et une fois franchi l’arc outrepassé, je pourrai m’apaiser et retrouver un semblant de sérénité. J’ai soif, mes vêtements pourtant larges et en coton , habituellement agréables à porter me grattent, ma peau est devenue rêche. Une fine couche de sable a ankylosé toutes mes articulations et chaque nouveau pas est une épreuve.
Je suis enfin à l’abri.
Je vais pouvoir alléger mon corps et déposer ma fatigue aux vestiaires. Accroupis, je délasse mes chaussures doucement et mes orteils avides de liberté ne cessent de gigoter
alors que mes lacets semblent résister à l’idée d’être dénoués. Enfin mes pieds sont nus,
je me sens bien, le pavement en terre cuite, aux motifs géométriques, chatouillent mes voutes plantaires. Le sol qui a gardé la fraîcheur de la nuit repose mes pieds endoloris.
Mes chaussures à la main, je me dirige vers le magnifique moucharabieh au treillis si fin
qu’il semble l’œuvre d’une dentellière. La lumière est tamisée, j’ai l’impression d’être seul au monde, dans quelques instants les eaux chaudes du caldarium viendront soulager mes cervicales toujours trop tendues.
J’avance, paisible, quand tout à coup une paire de babouches au pied d’une colonne retient mon attention. Elles semblent avoir été abandonnées là, à toute hâte. Les autres chaussures alignées le long des murs, objets flasques et inertes paraissent bien ternes à côté de ces deux fourreaux de cuir aux formes sinueuses.
Je sens mon rythme cardiaque s’accélérer , je m’efforce de respirer lentement et profondément pour tenter de le réguler mais je me rends bien compte que ma sérénité est en train de s’effriter.
Je suis là, perdu, figé, dans un temps immobile. J’ai chaud, j’ai froid. Mon regard n’aurait jamais du
rencontrer cette paire de babouches.
Et dire qu’il y a quelques minutes j’étais encore cet homme calme, qui veille au quotidien à ne pas se laisser déborder par ses émotions.
Muriel Fangeaux



