
Les ombres, ça peut hennir comme les chevaux.
C’est cette phrase qui me vint naturellement à l’esprit quand l’été dernier sous une chaleur torride, nous décidâmes d’unir nos doigts pour donner vie à un hippodrome de silhouettes à travers une chevauchée de gestes.
Il faisait chaud déjà à 11h et alors que nos esprits en surchauffe commençaient à divaguer, nous crûmes voir à l’ombre des pins d’Alep de fantastiques figures s’animer. Nous nous approchâmes, intrigués. L’air épais semblait frissonner. Sur le sol de magnifiques ombres portées aux nuances cramoisies des aiguilles de pin s’agitaient doucement au grès d’une brise légère. Les cigales avec leur chant assourdissant semblaient vouloir accompagner le spectacle qui s’étalait à nos pieds. Alors le plus jeune d’entre nous et aussi peut-être le moins contemplatif, las de ce cinéma trop calme pour lui, se mit à chercher puis à trouver des écorces en forme d’animaux qu’il agita pour perturber le rythme naturel du cinéma des arbres. Nous nous joignîmes à lui et avec nos doigts et nos corps nous essayâmes dans une espèce d’élan primitif de créer à notre tour des créatures sorties du passé.
Me revint en mémoire les jeux de l’enfance où sous la tente quand nous partions camper à la montagne, le soir venu, à la lampe de poche, nous nous amusions à faire surgir dans l’obscurité des lapins et autres bestioles, parfois bizarres.
Sous le soleil de Porquerolles, c’est tout un pan de mon histoire personnelle qui ressurgissait mais pas que, car immédiatement me vint à l’esprit les abris sous roche et les grottes des Magdaléniens. Il était maintenant 12h, le soleil commençait sérieusement à brûler nos peaux et moi je pensais à nos ancêtres, au premier Homo erectus qui avait réussi à maitriser le feu. La situation devenait cocasse, je commençais à plier sous le poids de la chaleur et je pensais au premier homme qui se releva et maîtrisa le feu.

J’imaginais qu’après avoir chassé le mammouth et autres bêtes imposantes, nos vaillants chasseurs pour se reposer et se détendre avaient coutume d’organiser des séances de cinéma d’ombres, dés qu’ils eurent acquis le savoir faire pour allumer du feu, dans des multiplexes célèbres aux noms des Combarelles et la célèbre salle au grand écran, connue de tous, Lascaux. Les préhistoriens émettent l’hypothèse que lorsqu’un film était jugé comme un gros navet par les premiers spécialistes de ce qu’à l’époque on n’appelait pas encore le septième art, les coups pleuvaient dans la salle et c’est pour cela que récemment ont été découverts de gros gourdins à côté d’une série de cranes brisées. Ça ne rigolait pas à l’époque ! D’ailleurs quand était organisé le festival du film pariétal, les spectateurs devaient toujours se tenir sur leurs gardes pour ne pas prendre le risque de se faire assommer ou tuer. A l’inverse, si un film trouvait leur approbation tel que Le Mépris d’un cinéaste du nom de Jean-Luc Habilis avec dans les rôles titres Michel Cro-Magnon et Brigitte Cro-Magnon en belle Vénus callipyge, alors là, ils se levaient, sautaient dans tous les sens. Après cette image correspond à l’imaginaire sauvage que nous avons des Magdaléniens qui est certainement fausse.
Quoi qu’il en soit je pense de mon côté que les hommes préhistoriques avaient ancré en eux deux qualités que nous avons perdu dès que nous nous sommes sédentarisés, celle du partage et de la complicité aussi bien dans leur activité de chasseurs que dans leurs moments créatifs.
L’individualisme aura fait à nos civilisations, au fil des siècles, le fantôme d’elles-mêmes.
C’est ce que nous nous sommes dit quand ravagés par la chaleur de l’été et les mains transpirantes, nous avions produits les silhouettes d’un remake paléolithique intitulé : Hennissement des ombres en étant en colère envers les historiens du cinéma, qui en attribuant l’invention du cinéma aux Frères Lumière, enterrent jour après jour le rôle prédominant que les Magdaléniens ont joués dans l’histoire du 7éme art, les faisant peu à peu tomber dans l’oubli, ne retenant d’eux que leurs peintures rupestres .
Octobre 2025. La Ciotat. Mattéo Vergnes.




