
Ne nous parlez pas de pluies sérieuses avec ma femme. Leurs gouttes d’eau, lourdes de raison pèsent comme des enclumes tombant constamment sur la tête des bien-pensants à la cervelle mouillée d’humidité ennuyeuse, provenant de propos graves émanant d’un ciel nuageux laissant apparaitre d’énormes trous, trappes pour oiseaux à l’esprit blagueur. Ma chérie et moi nous ne nous sentons pas concernés par ces pluies diluviennes austères car nous vivons dans un vaste abri nommé « Abrivade » dans lequel nous prenons soin de nous taquiner toutes les journées afin de lutter contre la morosité engendrée par ces esprits ennuyeux. De nuit comme de jour nous nous faisons marcher, d’où le nom : « Abrivade » donné à notre logis. Le rire a des vertus médicales faisait dire Rabelais à Gargantua. Avec mon amoureuse, nous affirmons que la plaisanterie, en notre époque anxiogène, devrait être remboursée par la sécurité sociale car elle permet de garder le moral et surtout de lâcher prise face aux multiples visages blêmes que nous rencontrons quand nous sommes contraints pour de multiples raison de devoir sortir de notre abri vaste.
Aujourd’hui avec ma belle, nous avons, un cop de mai, observé la pluie inonder la ville.
Je vous ai dit en début de texte que se gausser l’un de l’autre est un rituel avec ma polida. L’abrivade est un sport ciotaden plus populaire que la pétanque, (C’est l’art de la bouche, celui de la galéjade théâtralisée, uniquement connue entre Marseille et La Ciotat – je dis connue uniquement entre Marseille et La Ciotat car en Camargue le terme d’abrivade sert plutôt à désigner le transfert du taureau des pâturages jusqu’à l’arène, lieu tragique où cette belle bête à cornes vivra ses derniers instants sous les applaudissements des aficionados des corridas. Peut-être que cet animal majestueux ayant compris que la taquinerie est une force, pratique la galéjade avec le torero, histoire de contenir sa boule au ventre à l’idée de se faire tuer par son bourreau après avoir été embroché par ce dernier).
L’élue de mon cœur m’a coupé dans mon délire en me faisant de grands gestes. Elle exprimait quelque chose avec ses bras.
Elle est muette. Afin de me faire partager ses histoires, elle se promène nue dans les pièces de notre maison et se tatoue avec une aiguille des images absurdes ainsi que des phrases cocasses qu’elle veut me faire découvrir aux quatre coins de son corps. L’humour fait partie de son physique, de son identité. A force d’inscriptions, sa peau est devenue une vaste toile de chair que je tente de décrypter quand parfois le sens m’échappe. Il est une œuvre de body-art, ses propos silencieux sont les plus percutants que je connaisse. Les galéjades, elle a ça dans le sang !
Et dans notre abri vaste, à l’écart des regards malfaisants, ma compagne et moi, nous espérons couler des jours heureux et nous épanouir sur nos fondations verbales faîtes de réparties taquines.
Eléments de compréhension
- Du verbe provençal abrivar, abriver en français signifiant : faire marcher quelqu’un.
- Galéjade. Du verbe galéjer signifiant plaisanter, le plus souvent sous une bonne dose d’exagération.
- Un cop de mai. Une fois de plus en occitan.
- Ma polida. Ma belle en provençal.



