Le 23 septembre, La Croix avait titré l’un de ses articles « Le patriarche Kirill invite les orthodoxes russes à ne pas voir un “ennemi” en Ukraine ». La citation était tirée du dernier discours épiscopal devant les fidèles du Patriarche orthodoxe de Moscou. L’auteur se posait la question d’une « modeste inflexion ou vrai signe d’apaisement ». Il avait tout faux. Certainement eut-il voulu y voir un retour à une conception chrétienne plus proche de celle qu’on a aujourd’hui dans nos contrées occidentales. Que nenni.
Les ennemis déportés dans les mines de Sibérie
Trois jours avant cela, Kirill s’était rendu à Norislk en Sibérie, une ville réputée pour ses mines de nickel et de palladium. Dans son sermon lors de la consécration d’une nouvelle église à Norilsk, l’ancien agent du KGB (eh oui, Kirill est un ancien agent du KGB, et certainement l’un des plus fervents nouveaux agents du FSB) a loué les valeureux soldats russes en Ukraine, qui non seulement protégeaient la mère patrie, mais surtout protégeaient la foi orthodoxe, dans sa rhétorique habituelle consistant à faire de la guerre menée par la Russie une guerre sainte destinée à protéger les valeurs du christianisme.
Inspiré par la région minière, il ajouta que ceux qui critiquaient la guerre, les « épouvantails », ceux qui voudraient faire peur aux braves russes, devraient être envoyés dans les mines de Sibérie. Ça vous rappelle quelque chose ?
Se sacrifier à la guerre pour laver ses péchés
Le 25 septembre (donc deux jours après l’article de La Croix), Kirill expliquait à ses fidèles dans son sermon dominical que « le sacrifice dans l’accomplissement de votre devoir militaire lave tous les péchés ». Et pour rassurer ceux qui ont peur de mourir à la guerre, le pontife d’ajouter : « L’Église se rend compte que si quelqu’un, poussé par le sens du devoir et la nécessité d’honorer son serment, reste fidèle à sa vocation et meurt dans l’exercice de son devoir militaire, alors il accomplit sans aucun doute un acte égal à un sacrifice. » On n’est pas loin des 72 vierges qui attendent le martyr islamiste après que sa ceinture aura explosé.
Il y a quelques jours, après un nouveau sermon, Kirill a appelé à prier pour préserver les frontières de la Russie et stopper l’ennemi. On imagine bien que les frontières dont il parle sont celles qui incluent les nouveaux territoires annexés par la Russie, qui bien sûr en fait ne sont pas du tout russes mais bien ukrainiens. Mais qu’importe, car il a bien clarifié que ces assauts contre la Sainte Russie étaient menés par « des forces montantes qui rêvent de détruire et de conquérir la Russie. Derrière tout cela se cache le rêve inéluctable de ceux qui ont attaqué la Russie par l’ouest : détruire notre souveraineté, nous priver de liberté et ensuite utiliser toutes les ressources du pays le plus riche du monde à leurs propres fins. » Nous, les occidentaux, n’avions pas réalisé que c’est nous qui avions attaqué la Russie et pas l’inverse, afin de les asservir.
Éradiquer les pensées diaboliques des ennemis de l’Ouest
Dans son sermon quelques minutes avant, il avait tout de même clarifié ce qu’il entendait par « ne pas considérer les ukrainiens comme des ennemis ». Il a bien expliqué « nous sommes très loin de ce qu’on appelle le pacifisme en langage occidental ». En effet, pour qu’il y ait « une paix durable, il est nécessaire que, par la puissance de Dieu, toutes ces pensées diaboliques soient éradiquées de la conscience des personnes qui ne luttent pas pour l’unité de la Sainte Russie, afin que chacun prenne conscience de la responsabilité de préserver l’unité spirituelle du monde russe. » Ce besoin de « justice » contre les pensées diaboliques justifie bien entendu la guerre, CQFD.
Pour Kirill, comme pour Poutine, l’Ukraine n’existe pas. Comment donc pourrait-il y avoir autre chose qu’un conflit intestin au sein de la grande Russie, non pas entre deux ennemis, mais entre deux frères dont visiblement l’un est possédé par le malin… Il fait pas bon être un ukrainien dans la tête de Kirill.