Quel est cette lumière inaugurale ? Un début (naissance) ? Une fin (Near Death Experience) ?
Quel est cette langue ? Inhumaine ? Préhumaine?
C’est peu dire que les premiers instants de Under The Skin sont étranges et immédiatement prenants. Quelque chose se passe, sur l’écran. Une vingtaine de minutes mutiques, répétitives, hypnotiques, comme l’est en définitive tout le film.
L’argument semble mince: des extra-terrestres sont en chasse. Le gibier ? les hommes. L’appât ? une créature. Scarlett Johansson, brune pour l’occasion.
Le film est dérive, divagation, traque, ballet.
Il ya ce que Jonathan Glazer nous dit. Nous y reviendrons.
Il y a ce qu’il nous montre. Un bout de monde, un bout du monde. L’Ėcosse, en l’occurence. Rues, visages, banlieues, landes, plages.
Nous épousons la vision qu’en a la créature. Premier regard, brut, cru, primitif. Ce monde est pluvieux, hoquetant, beau aussi, scandé par les moteurs et la musique des night-clubs. Tout se juxtapose, rien ne fait sens, tout coexiste. Patchwork. Vies.
Il y a ce qu’il nous « monstre ». Séductrice impavide, insensible à la chaleur des dance-floors, comme aux pleurs des enfants perdus sur les plages. Effeuillage méthodique. Performance de mise en scène: rendre le corps nu de Scarlett inopérant, renvoyé à la froideur aqueuse du miroir.
Quant à ce que semble nous dire Jonathan Glazer, c’est également glaçant. Notre monde est beau, mais il est, il n’est que, prédation. Pauvre le dialogue des hommes et des femmes, qui ne cherchent qu’accouplement. Une simple camionnette ne saurait donner l’illusion d’une humanité avancée. Tout est rituel bestial, danse de séduction.
Magnifique scène pourtant avec un homme au corps difforme, animal justement, éléphantesque, pour ne pas dire Lynchien.
Constat terrible également pour la femme. Si elle est séductrice (par nature ?), elle est avant tout proie. Et même si le temps d’un film, les rôles semblent renversés, chassez la nature, elle revient au galop.
La créature, lasse de meurtres, de traques, cherche le repos. Scènes magnifiques dans une forêt primaire/primale. Cessant d’être chasseresse, elle est rendue à son état premier: femme, donc proie.
Le feu a raison de la glace, une mue pharamineuse s’accomplit. La peau que l’on croyait si douce laisse voir le coeur noir des êtres d’où jaillit un cri dans le silence désolé du monde.
Les chasseurs rentrent au soir dans le hurlement de la brume. La proie, dépecée, saigne encore sur la brûlure du soleil.
Le meilleur film de l’année 2013.