Par hasard, j’écoutais, l’autre jour, le Docteur Laurent Alexandre, éloquent comme un énarque sûr, trop sûr de lui, de son éloquence. J’étais un bref instant fasciné par les volutes de ses bras cherchant à convaincre les pauvres apprentis de la vie que nous étions tous. Il ouvrait et refermait ses ailes tel un papillon de Sciences Po. Et j’avais la colère sainte et salvatrice qui me montait au cœur ainsi que de la moutarde forte à la sauce Georges Bernanos.
Le conférencier, jeune et dynamique, au visage carré comme une équation trouvée quelque part dans la Silicon Valley faisait la propagande, aux relents d’eugénisme, du corps augmenté jusqu’à l’immortalité. Rêvant debout de tuer la mort, croyant qu’un beau jour on y parviendra et que l’on deviendra Homme-Dieu, notre orateur fanfaron, Docteur Folamour en diable, déversait ses certitudes de mauvaise science-fiction sur un petit groupe passif jusqu’au mutisme collectif. Et je songeais à Victor Hugo répondant aux sollicitations évidemment fraternelles d’un vague Vénérable Maître de je ne sais quelle loge experte en bêtises pompeuses, par un «j’écarte!» compréhensible et sans appel.
Le chirurgien et urologue Laurent Alexandre qui croit au Père Noël de la biotechnologie et veut donc supprimer la mort, s’emportait dans une tirade délirante au fur et à mesure que le temps passait. Dans 25 ans, tout ira mieux, Madame la Marquise, les cancers seront vaincus, et Parkinson et Alzheimer, on remplacera n’importe quelle partie du corps humain par une prothèse de substitution. On pourra devenir homme quand on sera né femme, ou vice et versa, à la carte, et le corps augmenté allongera l’espérance de vie bien au-delà des 150 ans, et le corps réparé nous ouvrira au paradis sur Terre, pour le meilleur et le meilleur…
Superbe orgueil humain. Doctissimo oblige. Depuis les origines jusqu’aux futurs les plus improbables. Nous écoutions, et nous écoutions, sans en perdre nos tabliers bariolés, sans brandir jamais nos rebelles drapeaux. Le meilleur des mondes est à nos portes, disait Alexandre, il est né, même, il triomphera de nos tristesses, de nos névroses d’angoisse, de nos replis identitaires, et nous irons conquérir le monde à coups de puces savantes dans le cerveau, à augmenter tous les Q.I. défaillants ou faibles. Hitler n’est pas mort, assurément, et Heidegger non plus. Le transhumanisme le ressuscite sous nos yeux rectifiés de Trissotins éternels, de grade en grade, jusqu’à l’insignifiance.
Aux agapes, à la sortie, je lui dis mon désarroi de poète ringard, vieux lecteur de Bergson, vieux fou affamé de suppléments d’âme, de cultures au pluriel, de noir barbouilleur jusqu’au blanc du rêve, en dépit de la couleur du gris.
Laurent Alexandre me fit particulièrement la gueule quand je lui indiquais que Luc Ferry doutait de l’enthousiasme «transhumaniste» en général et de l’un de ses livres en particulier. L’énarque devint un petit écolier avide de reconnaissance par les élites de la critique littéraire sur les réseaux sociaux. Il m’informa fièrement que Luc Ferry le citait X fois dans son dernier titre à succès «La révolution transhumaniste» ou «Comment la technomédecine et l’ubérisation du monde vont bouleverser nos vies». Je me contentais de hausser les épaules et de contenir ma colère au nom de mes convictions libertaires. Et je lui demandais s’il savait ce qu’étaient l’âme de l’Homme et l’âme du monde… Il me répondit: «Je suis athée, moi, Monsieur!».
Je lui demandais enfin ce qu’il pensait de l’expression du très vieux Jean-Paul Sartre «on est fait comme des rats!», le silence fut sa seule réponse.