Un courant qui exerce un attrait permanent de l’Aube biblique à nos jours.
L’Ancien testament a profondément modifié la destinée des hommes en inversant bien des sens de la tradition. Sous couvert d’une recherche de la Terre Promise à l’Orient, c’est dans le secret de la dimension archétypale de la conscience à un perpétuel recommencement auxquels fut alors condamnée l’humanité.
L’Égypte est restée subtilement attachée à une doctrine spirituelle très ancienne commune avec l’Asie : le cycle des renaissances, des vies et des morts se suivent dans l’attente que l’alchimie de la vie la transforme de plomb en or et qu’ainsi l’éclairé réussisse à atteindre la libération, la lumière et à se fondre dans sa course pour mourir à l’occident éternel comme y étaient appelés les rois, Thot et ses adeptes. En renversant le sens de la marche vers la terre promise et le paradis perdu, l’Ancien Testament condamne l’humanité à une sorte de samsara qui durera autant qu’elle ne sera pas délivrée. Une délivrance propre à chaque religion du Livre et qui les divise d’ailleurs. Quelque chose qui s’articule autour de l’idée de déchéance. L’homme ange déchu.
Or l’hermétisme propose une théologie souterraine où l’homme n’est plus déchu mais retrouve la place privilégiée qu’il avait dans la cosmogonie égyptienne, celle que le créateur lui donne au septième jour en creusant un espace vide dans le corps de sa propre pierre pour lui laisser parfaire l’œuvre. L’Homme retrouve sa place dans la création et surtout dans l’acte de création. Les bâtisseurs et les alchimistes représentent cela par le chiffre sept, du nom égyptien, Septa, de l’Étoile polaire qui avale les 7 étoiles de la Grande Ourse lors de son lever héliaque à la suite du combat sous la tutelle de Thot et la Lune entre le bien et le mal. Le Un s’est divisé entre le compas féminin du ciel et l’équerre masculine de la Terre. Dans la composition de l’Art sacré et alchimique qui vise à les réunir, il n’est par exemple par possible de tracer un heptagone par équerre et compas. L’homme devra s’en charger pour assurer la complétude de l’incarnation, redevenue le but de l’œuvre.
Cette clef de l’Art hermétique n’offense pas le fond spirituel de l’Islam, notamment chiite mais elle dit discrètement que l’homme est un co-créateur avec le créateur divin, celui qui s’est divisé pour nous laisser la place en conséquence de quoi nous avons l’ardente obligation de créer des objets de beauté.
Cette injonction de la beauté est au cœur de l’hermétisme primordial. L’islam des lumières en est une vivante illustration sous l’habit de la doxa. Il prendra fin quand le vêtement étouffera le corps incarné de la tradition.
Cette injonction est aussi celle de restaurer les savoirs anciens, de remonter à la source ou de le prétendre car comme pour Ptah le dire est déjà en soi un acte créateur, un acte en quelque sorte « magique ». Cette idée me semble centrale dans l’hermétisme en tant qu’il peut être alors un compagnon de route utile sinon indispensable de la philosophie, des arts et des sciences. Que le Corpus Hermeticus et les autres hadiths d’Hermès soient authentiques ou apocryphes n’a finalement pas beaucoup d’importance à ce compte.
Considérer la conscience comme immortelle et capable de tout comprendre et de tout dire, voilà qui trace le chemin. Un chemin qui n’a pas peut-être pas de fin. De la volonté de tout comprendre à la magie occulte des dérives modernes de l’hermétisme, il n’y a pourtant qu’un pas. Aussi bien la magie des anciens n’a sans doute guère de rapport avec la magie d’aujourd’hui. Sur bien des connaissances où nous croyons reconnaître une fausse science à la lumière des développements contemporains, nous disons « magie ». C’est nous qui le disons. Certes le Livre de Thot est sans doute aussi distant des textes égyptiens que ne l’est l’Ancien Testament du Livre de la Sortie vers la Lumière ou du Livre des Portes.
Je ne parle pas du livre antique de Thot dont on ne trouve aucune mention dans les papyrus même si les références à sa science multiple abondent en revanche. Peu importe que ce livre révélé n’ait jamais existé. L’idée de la révélation n’existe pas en Égypte. C’est l’alchimie du travail sur soi et en particulier dans les songes qui révèle à l’homme sa part divine et sa capacité à transformer sa gravité matérielle qui le mène à la tombe vers la lumière de l’horizon qui le conduit à renaître et à connaître, comme à transformer le plomb en or.
Ainsi Hermès qui initie aux mystères ne fait qu’accompagner vers la conscience. C’est pourquoi Thot semble parler à toutes les générations. Il reste la figure ancestrale de tous ceux qui pensent que la science ne peut pas tout expliquer et qu’une certaine pensée magique reste nécessaire pour vivre. C’est ce qu’a formidablement expliqué Alexandro Jodorowsky dans un dialogue socratique avec l’universitaire Javier Estaban dans son dernier essai : « Psychomagie ». Comment la puissance de l’esprit peut prendre le pas sur la matière, guérir du flou postmoderne et contribuer à créer une réalité salvatrice malgré les dérives apparentes de notre société.
Comment ne pas être séduit par cette vision d’un humanisme réconcilié avec la fureur moderne et ne pas dire « chiche, faisons-le plutôt que d’en seulement parler car l’esprit reste le plus fort. »
Comme pour le principe de précaution qui dicte la conduite quand la science est impuissante à prédire les conséquences de situations extrêmes et dont le vrai but serait d’en sortir au plus vite, l’alchimie magique utile aux déserts où ni dieu, ni maître, ni science ne peuvent encore nous porter secours, et la pensée hermétique ne doivent jamais nous faire oublier qu’elles sont une forme de la rationalité humaine et qu’à nier l’injonction du logos, de la logique et de la science, on formerait également un hermétisme sans conscience, c’est-à-dire un occultisme et non un hermétisme philosophique.
Patrice Hernu