Des souvenirs rockambolesques
Le rock’nroll a généré toute une série de témoins et d’experts, notamment en France. Philippe Manœuvre est l’un des moins contestés de la classe. Il a comme ses confrères journalistes une connaissance et une compréhension approfondies du rock, de ses racines, de ses impacts sociaux, de son modèle économique, de ses icônes, de ses épaves, de sa presse, des événements, drames et purs moments de bonheur, qui ont nourri sa sulfureuse légende. Tout a déjà été écrit sur cette aventure planétaire qui a accompagné le retour de la Paix dans le monde et abreuvé la soif de liberté des générations contemporaines. Mais l’auteur propose un petit quelque chose en plus que peu de ses prédécesseurs ont livré. Il revendique d’avoir « beaucoup de choses à dire ». Et il y parvient, traitant son sujet avec simplicité, recul, ou plus exactement avec une largeur de focale rare. Il consacre en effet de longs passages, émouvants, à rappeler qu’il n’a pas oublié d’où il vient. Ainsi il raconte son enfance champenoise, l’histoire de sa famille, exercice auquel ses confrères se sont peu livrés ou, lorsqu’ils l’ont fait, ont cédé aux manies égotistes du milieu. Il revendique pourtant d’avoir écrit « un roman autobiographique, un roman vécu ». Mais il évite de se prendre au sérieux et manifeste une lucidité sur lui-même qui rend la confidence chaleureuse et pédagogique. Il fait également largement partager ses souvenirs « rockambolesques », dans un mode plus classique, où s’égrènent les rencontres, aventures, amitiés, concerts, voyages, villégiatures, partagés avec les plus brillantes des stars, françaises et étrangères, dont il dresse un inventaire exhaustif impressionnant. Au milieu de cette galerie de portraits à faire s’évanouir le moindre fan, il évoque plus particulièrement Daft Punk et Yoko Ono qui l’ont spécialement marqué. Il réussit à convaincre que cette traversée du siècle du rock a constitué « une balade de plaisir, trente ans de pur bonheur. » Même s’il conclut son ouvrage sur l’évocation de « l’abominable » concert du Bataclan qui, selon lui, signe « pour la France, la fin de l’âge d’or du rockn’roll ». Dommage, mais peut-être vrai.
Patrick Boccard