
Dans ce livre, l’Obstination devient une manière d’habiter le monde : obstination de l’écriture comme obstination du geste pictural. Les deux artistes avancent, tenaces, presque à contre-vent, vers ce que Gérard Gaillaguet nomme « la splendeur native de nos vies ». Presque à contre-vent, comme Joseph Deltheil parlait d’écrire « à contre-printemps », puisque le poète en soi est bien celui qui avance à contre-courant…
Il serait temps que le printemps demeure, remarque le poète.
Ce sont ainsi les fuseaux de notre temporalité fugitive qui s’embrasent, confondant l’écheveau de nos repères normatifs et brouillant les pistes du réel pour mieux le faire apparaître et VOIR, mieux le faire surgir à nu. Dans le dur désir de durer. Avec Les Obstinés, le poète Gérard GAILLAGUET et la peintre Colette KLEIN signent une œuvre à deux voix qui interroge la persévérance comme force créatrice. Chez l’un comme chez l’autre, l’obstination n’est pas un entêtement vain, mais un moteur, une manière de continuer d’avancer. Opiniâtrement. Fraternellement. Avec résistance :
Nous sommes si obstinés, voyez-vous.
Et si exigeants.
Auteur de chansons, de poèmes, de théâtre et plus récemment d’un premier roman, GAILLAGUET revient à un projet de jeunesse : celui d’un texte lyrique et politique capable de contrer l’habitude du malheur. L’idée initiale s’accompagnait d’un volet visuel, pensé comme le miroir plastique du texte. Un diptyque émerge donc ici -le livre appelant son double pictural : les toiles de Colette KLEIN-, où mots et créations visuelles se répondent, entre abstraction et suggestion. Artiste reconnue pour ses paysages oniriques aux formes fantastiques qui affleurent dans des brumes presque spectrales, mais aussi romancière, comédienne et éditrice de poètes, Colette KLEIN apporte au livre une présence visuelle qui prolonge, amplifie et approfondit la parole du poète.
Poète de la scène autant que de la page, Gérard GAILLAGUET fait vibrer sa langue à voix forte/haute, la porte au chant. Il ne pouvait qu’échoir à Colette KLEIN d’en constituer le contrepoint indispensable. Peintre aux visions nébuleuses traversées de présences presque mythiques, elle offre aux textes de GAILLAGUET l’univers parallèle dont ils avaient secrètement besoin. La rencontre entre leurs œuvres trouve enfin ici sa forme accomplie en ce livre-manifeste où poésie et peinture s’interpellent, se répondent et se rejoignent sous le signe brûlant de l’obstination.
Un texte coup de poing jaillit de l’orage pacifique des pages, comme un coup de coeur et un appel d’air vers une fraternité tenace, nourrie de sève et de fièvre, contre vents et marées.
Entre songe et insurrection, le grand poème des Obstinés s’impose par la puissance d’une voix singulière, à la fois lucide et caressante, que les toiles souveraines de Colette Klein magnifient. Du cœur des pages surgit un texte ardent : un élan jailli d’un brasier intérieur, qui frappe, transporte et appelle à une fraternité farouche, libertaire.
LE POUVOIR DÉTIENT LES CLÉS DE L’ESPRIT. LA PROPAGANDE ET LES SOMNIFÈRES. LE CRÉDIT ET LES ARRÊTÉS PRÉFECTORAUX. ET LE POUVOIR EST À L’ARGENT.
Ici s’ouvre un monde ― celui de la Poésie et de la Liberté à tout prix, sans concession, totale. De la poésie défaite de l’amour trop lourd, désencombrée de ce qui leste l’existence, la musèle, la bride, l’éteindrait ; de la poésie qui se dresse, libre, contre l’obscurité et le consentement au malheur. Les Obstinés est un livre volcanique, un livre-passage, qui enflamme les certitudes et nous entraîne dans « l’éblouissement douloureux de soleils éclatés » vers un territoire fraternel, lumineux, insurgé. Nous nous mettons à marcher avec eux, « têtus, à contre-courant de l’averse brune », avec l’espoir en bandoulière…
L’espoir tenace nous étreignait. Il n’était pas possible de ne pas aboutir.
Vois : les machines sont mouillées le long du bitume des rues. La floraison des lèvres ne fut qu’un appel bref mais qui cherche à cogner les barreaux encore encore. Sur les réverbères éteints le brouillard glisse, dans le silence, sur les réverbères ployés comme des fleurs que la pluie foule.
Le tocsin sonne pour le travail.
Les rires du soleil pourraient-ils s’effacer ?
Ce passage, représentatif, nous tient à la frontière du lyrisme et de la révolte intime. La matière du monde y est transfigurée ; la matière du monde se métamorphose, respire, s’embrase. Les machines deviennent organiques, le bitume respire, les réverbères ploient comme des fleurs. Une tension s’y noue entre l’étouffement et l’élan — l’espoir persiste malgré le tocsin du réel. La poésie agit comme une musique, un souffle, une marche. Le poème fait de la ville un paysage d’insurrection sensible, où chaque image cherche à cogner contre la fatalité et où demeure la question incandescente : comment empêcher la lumière de s’effacer ? La musicalité du texte, mis en relief par la vertu de ses assonances et allitérations ; le rythme ; les images, … ―la poésie tremble ici de tout son texte et nous porte vers l’altitude et l’envergure de ses voyages entrepris comme l’on demande son nom à une fleur (Cf. “Aube”, Illuminations, Rimbaud). Des visions jaillissent de cette marche insurrectionnelle, à l’instar des êtres -entre chair et brume, entre chair et spectre, ciel et ténèbres- des tableaux de Colette KLEIN
Je suis remonté jusqu’aux causes premières. A travers le voile de nos rencontres, des jours vibrant de peur sous l’oeil fixe de la peur, parmi les bourrasques teintées de l’or pâle de nos sommeils couchants (…) j’ai vu notre histoire et j’ai vu toutes les histoires.
Des centaines de fronts têtus remontaient l’averse en même temps, des centaines de fronts brunis réclamaient la même réponse.
Les Obstinés nous entraîne dans cette marche intérieure et collective. Obstinément, nous avançons, avec eux, « dressés dans un rire de flamme ». Obstinément, la poésie déplace les frontières du visible. Obstinément, le livre nous parle, nous porte, nous appelle. Un livre-fraternité. Un livre-étendard. Un livre qui persiste – et qui nous donne envie de persister avec lui.
© Murielle COMPÈRE-DEMARCY (MCDem.)
Les Obstinés, Gérard GAILLAGUET, Colette KLEIN
Éditions Wallâda, Coll. La merlette moqueuse (Poésie et chanson de résistance)
[74 p.] – 16



