
J’ai vu en Norvège des étés indiens où l’on pouvait se baigner
nus
dans des lacs aux eaux froides sans trembler
et se chauffer après le bain sur les pierres lisses comme du
marbre.
Le soleil avait frotté si fort les rochers avec ses mains de feu
que nos corps fumaient en s’abandonnant sur le rivage.
Je vois encore d’autres lieux de lumière, de pluie ou de neige
que je croyais habités par des déesses ou des ailes
bienveillantes.
Mais tel n’est pas le monde, la vie n’est pas un songe.
Mes yeux voient double, ou bien tout en oblique.
À contre-ciel, que peut-on voir vraiment,
sinon l’innocence saigner
et des hommes égarés aux visages inquiétants,
ou des maisons qui se ferment le soir, pleines de fatigues ?
Le sourire des enfants tout au bord du sommeil
est seul à rassurer le monde des vivants.
Le sourire des enfants est seul à rassurer le monde.
Je le sais, mon amour, comme il faut de patience,
comme il faut de persévérance,
pour garder la ferveur et le coeur grand ouvert
quand on ne fait, comme moi, que trébucher sur le temps,
se heurter aux choses les plus ordinaires
comme les clés des commodes, les pieds des chaises
ou la cafetière qui s’ouvre et répand tout le café brûlant
sur la table dès que je regarde ailleurs,
quand on ne fait, comme moi,
que se heurter aux silences les plus lourds.
Quand je ne fais que me heurter
toujours plus violemment à la réalité.
Elle ressemble à un puits où je ne fais que tomber,
ou à une eau saumâtre où je me noie.
Même tes baisers n’arrêtent pas son bourdonnement,
Même ta main, quand elle me cherche le soir ou le matin,
n’empêche pas la réalité de faire sonner
toutes ses cloches noires dans ma poitrine
et mon coeur se retrouve enfermé dans son tintamarre
comme tant d’autres coeurs,
bêtes traquées prises dans le piège des nouvelles
assourdissantes du jour
plus horribles encore que la veille
et sûrement moins terribles encore que celles à venir.
Et je suis là, dans ma solitude qui n’est rien d’autre
que la solitude de tous les êtres vivants,
et tout me tombe des mains,
tout me heurte sans fin.
Il n’y a pas d’oubli, jamais.
Il n’y a pas d’oubli, ni pour moi, ni pour personne.
Extraits de À contre-ciel – de Joël Mansa – À paraître chez Encres Vives, collection Lieu, n°424, automne 2025
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