(Episode précédent) Parfois, au volant d’un véhicule, un individu peut devenir quelqu’un d’autre. Une curieuse symbiose intervient, qui n’est pas toujours du meilleur effet sur le conducteur. En fait, dans certains cas rares, la route fait d’un conducteur un criminel pervers… Comme si le véhicule avait pris possession de son âme. Le principal protagoniste du film Duel entre brutalement en collision avec une autre réalité qui piétine ses idées toutes faites sur la permanence immuable des choses. Ce qui lui fait conclure : « On ne se doute jamais de rien. On ne se méfie jamais de rien. On se contente de rouler sa bosse en pensant que certaines choses sont immuables comme le fait de pouvoir rouler tranquillement en voiture sans qu’un individu cherche à vous tuer. Et puis un jour, il vous arrive un truc idiot, un évènement qui n’occupe que 20 à 25 minutes de votre vie mais qui suffit à briser tous les liens qui vous rattachaient à votre univers. Et c’est comme si tout à coup vous vous retrouviez comme un homme primitif dans la jungle. Allez ! Oublie ça ! Le cauchemar est terminé maintenant. » Evidemment, dans le film, le cauchemar ne fait que commencer…
Suite à une guerre dévastatrice, le monde tel qu’on le connait a disparu. Il n’y a plus d’Etats, plus de gouvernements, plus de pitié ou de lois. La barbarie est partout. Mais là où les peuples barbares de l’Histoire avaient une culture, une organisation sociale, des mœurs, dans Mad Max 2, il n’y a plus rien. C’est désormais un monde de criminels. Et il vrai qu’il suffirait que le contrôle sur le pétrole échappe actuellement aux gouvernements pour que tout s’écroule, de la même façon. C’est très bien vu et constitue la force de ce film. La route n’est plus que le lieu d’affrontement des barbares, prêts à s’entretuer pour un bidon d’essence. Malgré tout, Max, après une longue solitude volontaire et désespérée, y retrouvera le plaisir d’être avec ses semblables. La rédemption, quoi.
Boulevard de la Mort est une autre histoire de pervers de la route… Un conducteur plutôt doué, joué par Kurt Russell, a pour principale passion de faire mourir des femmes dans des accidents de la route qu’il provoque en prenant les plus grands risques pour lui-même. Le shérif qui le suit de près a sa propre théorie sur le sujet : « c’est sexuel, c’est sa seule manière de se vider les couilles. » Dans la première partie du film, il s’en tire avec une simple hospitalisation. Quelques temps plus tard, il s’attaque à un autre groupe de filles mais là, il a mal choisi ses victimes : il s’agit de cascadeuses de cinéma et pour ce qui est de maitriser les voitures, elles en connaissent un rayon. S’ensuit une poursuite vengeresse qui finit très mal pour le conducteur fou. La route a ses cinglés, elle a aussi ses anges vengeurs.
Au XVIIème siècle, les colonies de Nouvelle Angleterre étant saturées d’occupants, de petits groupes d’immigrants vont tenter leur chance dans les montagnes Appalaches. Ils y découvrent une nature sauvage et difficile à exploiter. Pendant des siècles, totalement isolés des autres immigrants américains qui vont plutôt se déplacer vers l’ouest, ils vont complètement échapper aux grands courants de civilisation des XVIII et XIX siècles. Ces petites communautés vont devenir ce que les autres américains appellent avec mépris des White Trashs, des raclures blanches : des blancs pauvres, incultes, alcooliques et dégénérés. Ces groupes comprenant assez peu de membres, le taux de consanguinité va devenir très élevé, avec les conséquences que l’on sait sur la santé mentale et l’effondrement du patrimoine génétique.
On en est là lorsque que quatre citadins ont l’idée de descendre une rivière du coin. Deux d’entre eux sont plutôt bien armés pour la survie, que ce soit dans le fait de lire une carte ou d’utiliser des armes. Les deux autres sont de simples citadins qui, en matière de voyages, n’ont connu que le tourisme. Les white trashs du coin vont leur en faire voir de toutes les couleurs et, contre toute attente, ce sont les deux citadins « professionnels » qui vont survivre, les deux pros étant peut-être un peu trop sûrs d’eux. Le film Délivrance illustre à la perfection les dangers de la route quand elle évolue au milieu d’une population hostile qui, elle, est sur son propre terrain.
Green Book commence comme un film comique, à l’humour décalé. La réunion improbable d’un élégant pianiste classique noir, Don Shirley et d’un Italo-Américain grossier et rustre, Tony Vallelonga, a tout pour déclencher des fous rires tant ils sont aux antipodes l’un de l’autre, à tous les niveaux. Don, malgré la couleur de sa peau (on est en 1962), est un pianiste classique célèbre et Tony, entre autres choses, est chauffeur. Il doit le conduire tout au long d’une tournée de concerts dans le sud des Etats Unis où, à l’époque, la ségrégation est une règle de vie encore immuable. Pour compliquer le tout, Don est attiré par les hommes et ça fait beaucoup dans le sud de cette époque : noir et homo !
Les frasques de Don et les manières de Tony leurs attirent pas mal de problèmes mais auront une conséquence inattendue : ces deux individus que tout sépare vont se comprendre et devenir amis. Faire la route ensemble les a amenés à une rare empathie. Finalement, le film illustre à la perfection ce qu’est le blues : la force de survie qui permet à quelqu’un de transcender le rejet dont il est l’objet.
La prochaine fois : d’autres aspects de la route




