
(Episode précédent) On rencontre de drôles de personnages sur la route. Ça donnerait presque à penser qu’elle est le refuge favori des marginaux. Ou des gens en passe de le devenir…
Les drag queens de Priscilla, folle du désert sont des personnages hauts en couleur. On les imagine facilement dans les quartiers chauds de Sydney. Mais que vont-ils devenir sur la route ? C’est tout le problème ! Leur bus de folles du désert ne passe pas inaperçu et certaines plaisanteries peuvent mal finir dans les terres intérieures de l’Australie rurale. Les aborigènes deviendront finalement leur meilleur public. Comme quoi les meilleures rencontres sur la route ne sont pas forcément celles que l’on attendait.
La route est le lieu des rencontres les plus improbables. On y côtoie des gens qu’on n’aurait même pas croisé en temps normal. Ces rencontres, parce que rares et improbables, sont infiniment précieuses. Zabriskie Point nous montre parfaitement que deux fuyards peuvent se trouver et vivre ensemble les moments les plus importants de leurs deux vies. C’est ça, aussi, la route. Leur rencontre est ici illustrée par You Got The Silver des Stones (à partir de 3 mn 03).
Il y a ceux qui voyagent… Et ceux qui leur permettent de voyager, les prestataires de service. Les laissés pour compte, en fait. Tenanciers de stations-service, responsables de motels, perdus dans les grandes solitudes du Montana ou du désert des Mojaves… Souvent mal rasés ou décoiffés, habillés de la manière la plus rudimentaire possible, le voyageur les trouve pittoresques, charmants quand il reste 10 mn pour faire le plein ou toute une nuit pour dormir. Mais ils ne sont qu’une étape pour lui car il s’en va. C’est facile et tentant de trouver du charme à ces endroits et ces gens perdus quand on sait qu’on va les quitter. Les laissés pour compte, eux, admirent secrètement le voyageur car il va faire quelque chose dont ils se savent incapables : partir.
Mais il arrive qu’eux aussi aient droit à une rédemption. Après tout, tout le monde a droit à une seconde chance. Elle peut survenir par l’intrusion d’une personne brisée qui est tombée sur le bas-côté de la route. C’est tout le sujet du film Bagdad Café.
Certains « voyageurs » nous font honte, parce que nous appartenons à la même ethnie occidentale qu’eux et nous craignons, lorsque nous sommes en voyage, qu’on nous prenne pour l’un d’entre eux. Nommons-les sans avoir peur de dire un gros mot : les touristes !
Jean Pierre Chabrol, écrivain français, avait pour eux quelques paroles édifiantes dans les années 70 : « c’est incroyable un touriste : pendant onze mois de l’année, ça ne vit que pour son mois de vacances. C’est censé justifier toute son existence. Il ne lui est jamais venu à l’idée que les onze autres mois sont peut-être plus importants que ses vacances… »
J’ai eu une réalité brutale de la chose avec une collègue. Il y a quelques années, elle m’a dit qu’elle passerait ses vacances en Crète. Féru d’histoire comme je le suis, la Crète éveille pour moi plein de choses : les ruines des palais minoens, des peintures antiques extraordinaires, une civilisation hors du commun… Mais même si l’on n’est pas passionné d’histoire, il y a les paysages, une lumière d’une nature incroyable sur une flore généreuse.
Bref, je rancarde ma collègue sur tout ce que la Crète peut lui apporter. Quelle ne fut pas ma déception lorsqu’à son retour elle m’a détaillé ses vacances. Elle a passé son temps dans l’hôtel, sur la plage de l’hôtel et dans la boite de nuit de l’hôtel et rien d’autre. Elle est restée au milieu d’européens et n’a jamais adressé la parole à un crétois. Les seuls non-européens avec lesquels elle a parlé étaient des maghrébins qui faisaient partie du personnel de service de l’hôtel. Pourquoi aller en Crète pour passer des vacances qu’on pourrait avoir en Bretagne ? La réponse est simple : pour se la péter. « J’ai été en Crète cet été » Quelle pitié ! Croyez-le ou non : quand je l’ai entendue, j’ai eu honte d’être un occidental, réalisant que c’était justement l’image de touriste que l’on avait dans le monde entier.
Le film français Restons Groupés (1997) est justement l’antithèse de cette horreur.
Pourtant, tout commence comme un film comique pour touristes. Un voyage organisé aux USA avec des individus pour le moins pittoresques, des échantillons tout à fait représentatifs de ce que sont les touristes : risibles et pitoyables. Puis, tout d’un coup, tout dérape : l’agence de voyage à Paris fait faillite, l’organisateur se retrouve à l’étranger sans un sou et c’est l’aventure…
Mais ce coup de malchance apparent va transporter ces pauvres gens parmi les vrais américains, pas le personnel de club hôtel. L’expérience sera parfois douloureuse mais elle sera toujours salvatrice et, dans cette épreuve, chacun montrera qui il est vraiment et grandira. Ce côté rédempteur de la route quand elle est pratiquée vraiment à la dure.
La prochaine fois : d’autres visages de la route… Beaucoup plus sombres ceux-là !



