
S’il y a bien un mythe américain qui a inspiré les artistes, c’est celui de la route, du voyage. On a même créé des genres artistiques qui y sont dédiés : le road book et son pendant cinématographique, le road movie. Et depuis toujours, aux USA, il y a des road songs.
Et pour cause : parti de quelques lopins de terre sur la côte est au XVIIIe siècle, le pays n’a cessé de se déplacer vers l’ouest. Puis, quand le pacifique a été atteint, le jeu a consisté à parcourir en long, en large et en travers tous ces espaces de liberté.
En fait, à bien y regarder, la route est le principal personnage d’arrière-plan, l’inspiration première de bien des livres, films et chansons américains.
Ce qui se cache derrière la tendance à « faire la route »
Il y a même une morale omniprésente dans les œuvres de la route : quoi qu’une personne recherche en faisant la route, ce qu’elle trouvera au bout du chemin c’est surtout elle-même. Pour donner une connotation existentielle à tout ça, faire la route, dans ces œuvres, permet souvent d’obtenir une forme de rédemption.
Le goût de la route peut même être une caractéristique de civilisation. Les Vikings, ethnie vigoureuse s’il en est, ont toujours cherché à explorer. Une simple rumeur pouvait suffire à les faire aller là-bas, au hasard, pour savoir ce qui s’y trouvait. C’est ainsi qu’ils ont découvert l’Angleterre, les iles Féroé, l’Islande, le Groenland, le Labrador puis Terre Neuve. Stratégie gagnante.
Jack Kerouac
Mais pour en revenir à notre époque, évidemment, le roman Sur La Route de Jack Kerouac est la célébration ultime, définitive de la route et de tout ce qui s’y passe. On ne fera jamais mieux dans le genre et, d’une certaine façon, on a tendance à juger un road book, un road movie ou une road song par la quantité de lyrisme qu’il nous inspire EN COMPARAISON avec Sur la Route de Kerouac. C’est la référence absolue, le mètre étalon.
Pourtant, Kerouac est loin d’idéaliser la route, parce qu’il la connait bien. Il ne cesse d’en montrer les travers : les attentes interminables quand on fait de l’auto-stop, la faim, le froid, ceux qui nous trahissent, etc. Mais c’est justement parce qu’il en montre l’adversité omniprésente que la route nous semble si magnifique quand il en décrit les grands moments.
Au-delà du voyage
Faire la route, c’est avant tout se déplacer. Pour un individu un peu perdu, en train de se chercher, c’est vital. Il quitte l’absurdité ambiante des grandes villes, le sentiment que tout est foutu et il accomplit enfin sa fonction première d’être vivant : le mouvement. Le mouvement, le changement sont la vie elle-même. Il n’y a que les choses mortes qui ne bougent pas.
Et puis il y a les rencontres, dont Kerouac parle si bien dans son livre : « Je les ai suivis en trainant les pieds comme je l’ai toujours fait quand les gens m’intéressent. Parce que les seuls qui m’intéressent sont les fous furieux. Ceux qui ont la fureur de vivre, la fureur de dire, qui veulent tout en même temps. Ceux qui ne baillent jamais et ne profèrent jamais de banalités mais qui brûlent, brûlent, brûlent comme des chandelles romaines dans la nuit. »
Pourquoi certains ressentent ils le besoin de toujours aller voir ailleurs, chercher un chez eux hypothétique ? Kerouac nous avait prévenu : « J’ai traversé le Mississippi, j’ai traversé le Tennessee, mais même à Apalachicola je ne serai jamais chez moi. »
La réponse est simple : « Quelque part sur le chemin je savais qu’il y aurait des filles, des visions, des rencontres, une vie neuve, tout, quoi. Quelque part sur le chemin on me tendrait la perle rare. »
La version hippie de Sur La Route
Sur La Route se passe entre 1947 et 1950 et est un roman clé de la Beat Generation. Il parait en 1957. Une dizaine d’années plus tard, avec les hippies, le livre semblera grandement actuel. Ceux-ci ne cesseront de parcourir les USA en auto-stop et mettront au goût du jour l’épopée de Kerouac. La musique phare ne sera plus le jazz mais le rock hippie. Les cheveux sont devenus longs et les fringues débridées mais l’esprit reste le même.
Les anges de la route ne sont pas tous tendres et romantiques. A force de tomber sur le bas-côté du chemin, ils ont fini un jour par se relever durs et sauvages. Et il est vrai que le risque est omniprésent sur la route. La liberté des grands espaces rime avec la solitude face au danger. Fou est celui qui se croit encore protégé par les lois des grandes cités. Aucun film ne le montre mieux que Easy Rider. Deux hippies sortent de leur microcosme californien mais sans comprendre que les règles ont changé et qu’ils se retrouvent dans un autre monde. Cette inconscience leur sera fatale. L’un des plus beaux road movie de tous les temps : les paysages sont magnifiques, les espaces infinis, et la candeur confiante des deux héros, tout à fait touchante.
La prochaine fois : les différents visages de la route



