
Il y a à Nogent-sur-Marne, tout près de Paris, un lieu presque secret, tant il reste dissimulé aux regards inattentifs. Légèrement en retrait, comme perdu dans le dédale des rues et ruelles du centre-ville historique. Adossé au parc avec un petit théâtre de verdure, l’Hôtel des Coignard (150, Grande Rue Charles de Gaulle) abrite notamment un bel espace d’expositions d’arts plastiques : peinture, sculpture et photographie contemporaines, appelé « Carré des Coignard ». Tous les mois ou presque, il accueille les œuvres d’un ou deux artistes, donnant notamment leur chance à ceux qui sont moins connus. Du 12 au 28 septembre, ce sont la photographe Véronique Drouin et le sculpteur Jacques Berthier, exposant sous le titre commun « L’intrigue du regard ». Hormis les pièces présentes, les dépliants offerts aux visiteurs permettent d’en découvrir d’autres et y invitent.
Véronique Drouin nous surprend par ses photographies fascinantes, oniriques et parfois un peu inquiétantes (Brisures, En attendant la fin de l’orage, Ascension urbaine). Images saisies au gré des instants et regards, avec un appareil de téléphone haute définition, pour rester toujours libre et discrète. Aucun photomontage, ou alors rarissime. Paysages et espaces urbains, nature et constructions entremêlées, jeux de couleurs, lumières, surfaces et vitres-miroirs, jeux de formes, déformations et lignes de fuite. Certaines, comme les distorsions ou « décompositions » des immeubles de Ricardo Bofill à Noisy-le-Grand, font penser aux tableaux de Zbigniew Beksinski, le peintre polonais de nos plus grandes angoisses. Cependant, on peut aussi s’arrêter et rêver longuement devant les visions poétiques : le Mirage automnal avec sa tempête d’or, Le revers de l’âme où une flaque d’eau capte la beauté autour, Dans l’onde de la Samaritaine comme un rideau de soie, le Soleil levant sur le Palacio, qui fait son travail d’alchimiste ou d’orfèvre.

On dit qu’un bloc de pierre peut « cacher » une diversité de formes, que révèle seulement la main d’un sculpteur. Jacques Berthier se saisit d’une autre matière brute et lourde – fer forgé, acier ou bronze – à laquelle il insuffle un esprit et, parfois, une étonnante légèreté. D’anciens outils, éléments disparates de machines ou constructions, repris et assemblés par un éclair de génie de l’artiste : une idée, une association d’idées ou une métaphore poétique. Car il s’agit bien souvent de la poésie pure, comme en attestent les titres qui relient la matière et le sens, souvent d’un simple trait : Licornes, Orfeu, Moines, Forêt, Confiance… Jacques Berthier réveille ainsi pour une autre vie de vieux objets ou débris, endormis, oubliés, fragmentés ou hétéroclites. L’Homme-outil marche sur les pointes de ses immenses ciseaux. Le Petit fantôme semble avoir peur. Le Saltimbanque trouve la clé de l’équilibre. L’Union des deux scies se protège de l’extérieur, tendue vers le haut et scellée par un mince anneau. L’artiste, fasciné depuis l’enfance par ces matériaux d’apparence si peu gracieuse, a su leur donner une âme, pour aimanter et changer notre regard.




