“Tu n’es pas sérieux?”. Cette simple phrase résume la vision que nous avons collectivement de l’humour. Quelqu’un de pas sérieux n’est ni fiable, ni crédible, ni digne d’attention, encore moins d’éloge.
De l’école au cimetière, le non-sérieux est rédhibitoire. Une crise de fou-rire en classe ou à un enterrement, cela ne se fait pas. Pas convenable l’humour, ni le rire qui est censé être le propre de l’homme. Un monde sans rire est donc un monde de plus en plus inhumain. On l’avait remarqué !
Bien plus que la culture, le milieu, sans parler de l’intelligence, l’humour est pour moi une façon de “trier” les gens que je rencontre (je parle bien entendu de personnes non atteintes de maladies graves ni non plus dans des situations désespérées). Je pense en effet que quelqu’un qui n’a pas d’humour n’a pas vraiment d’intelligence et encore moins d’empathie. Car l’humour est un moyen de communication et de partage par excellence. Il est généreux, même s’il sait être féroce. (par exemple Woody Allen demandant:”Quelle est la différence entre l’humour juif et l’humour allemand ? Réponse:”la différence, c’est l’humour !”)
C’est aussi une façon de résister. Á l’exclusion (voir l’humour juif, justement), à l’oppression (voir les innombrables blagues dans les pays de l’est au moment du rideau de fer.), à la condition humaine, tout simplement. Un exemple qui mêle les deux premiers précités : Au temps de l’URSS, sur un banc du parc Gorki, à Moscou, un vieux juif lit un livre. Un milicien vient s’asseoir à côté de lui. “Que fais-tu?” demande-t-il ? “J’apprends l’hébreu.” répond ce dernier. “Quelle drôle d’idée! Pour quoi faire ?” “C’est pour être prêt quand j’irai habiter en Israël”. Le milicien s’esclaffe:”Mais il n’est pas question que tu ailles en Israël !” Philosophe, le vieux répond:”Cela ne fait rien. Quand j’irai au paradis, je pourrai parler à Jéhovah.” Toujours goguenard, le milicien poursuit: “Et si tu vas en enfer ?” Le vieux juif le regarde et dit ;”Ne t’en fais pas, camarade. Je parle russe aussi !”.
Bien entendu l’humour, comme la charité, commence par soi-même et il faut donc être prêt à rire de soi. C’est pourquoi les dictateurs, les autoritaires de tous bords n’ont pas d’humour. Ils savent rire des malheurs d’autrui, ridiculiser les plus faibles, les subalternes, mais ceci n’est pas de l’humour, c’est de la bassesse et de la cruauté. Une marque de psychopathie. Ils prennent l’autodérision pour de la faiblesse, empêtrés qu’ils sont dans leur tout-à-l’ego.
Pas plus que le cynisme ou la dérision non-stop ne sont de l’humour. Il ne suffit pas de se moquer pour se prétendre drôle. Usons de cet oxymore: L’humour, c’est quelque chose de sérieux.
Les religions ne brillent pas non plus par leur sens de l’humour. L’inquisition catholique brûlaient, entre autres, les livres traitant du comique, en plus des auteurs, si nécessaire (cf. Le nom de la rose), l’Islam ne m’a pas frappé récemment par son sens de la farce, quant aux protestants, les pays où ils sont majoritaires ont produit plus d’Ibsen et de Bergman que de Labiche ou de Chaplin. La plupart des protestants me semblent tellement raides qu’ils doivent sourire chaque fois qu’ils perdent un œil ! C’est que, quand on dit humour, on dit aussi tolérance, voire désobéissance. D’où la méfiance des prélats et des apprentis führer.
L’époque semble pourtant aux humoristes, au stand-up, mais ce n’est malgré tout qu’à des moments dédiés, spécifiques, cloisonnés, qui ne débordent que de très peu sur la vie quotidienne, et encore moins professionnelle. D’ailleurs on se rend souvent à ces spectacles pour décompresser, ce qui dit assez bien de quoi est fait l’ordinaire. Car hélas, dans le champ professionnel, l’humour n’est pas aimé, et surtout pas de ceux qui décident. Pouvoir (même minuscule) et humour semblent, à tort, incompatibles. Pourtant il n’y a rien de plus sérieux que les enfants qui jouent ! Regardez-les, concentrés, efficaces !
En art non plus, l’humour n’est pas très populaire. Bien sûr, il y a quelques exceptions, mais pour un Molière, combien de tragédies ? Si l’on cite Marcel, c’est Proust, pas Aymé. Combien d’amateurs de musique classique trouvent que le rock, ce n’est pas sérieux ! Et donc, une fois encore, le manque supposé de sacro-saint sérieux est disqualificatif.
Demandez à mille personnes quels sont les dix plus grands films de l’histoire du cinéma. Si vous en trouvez dix qui citent une comédie, revenez me voir, je ferai un mea-culpa public. Il nous faut du drame, sinon point de grandeur ! Les mêmes, pressées de citer les plus grands acteurs ou actrices, iront de De Niro à Meryl Streep, de Delon à Anna Magnani, sans passer par Buster Keaton ou Louis de Funès ! Et pourtant, quel bonheur, quelle liberté ils nous donnent ! Même quand des “comiques” sont cités, c’est pour leurs rôles dramatiques. Bourvil pour “Le cercle rouge”, ou Coluche pour “Tchao pantin”. Ces mêmes acteurs ont dit à maintes reprises que faire pleurer les gens n’est pas si difficile, alors que faire rire une salle, ça, c’est une autre paire de manches, mais rien n’y fait. Il nous faut des larmes ! Le rire peut être gras et vulgaire, le sanglot est noble !
De plus, la comédie est souvent affublée d’un adjectif qui, alors qu’il devrait être positif, devient étrangement condescendant: populaire, légère, bien française. Dans le même temps, nombre de drames chiants ont bonne presse ! Le “sérieux” étant gage de profondeur et le comique de superficialité, comme si le rire n’était pas une façon élégante d’affronter la mort.
Et l’amour dans tout cela ? Il se trouve que je suis cinéphile, mais monogame, ce qui me donne une compétence assez restreinte en la matière. Pourtant, très jeune, l’humour et l’amour m’ont vivement intéressé. En effet j’ai entendu maintes fois l’adage: “Femme qui rit est à moitié dans ton lit !” Aussitôt j’ai compris l’intérêt d’être drôle. Et je dois dire, sans fausse modestie, que j’ai fait rire pas mal de filles… mais c’est avec la deuxième moitié que j’ai eu du mal. Et si on dit que l’amour se trouve à chaque coin de rue, je dois vivre sur un rond-point. On m’a peut-être mal conseillé. Au lieu d’être drôle j’aurais dû chercher à être riche. En effet, j’ai remarqué que les riches, quel que soit leur physique et surtout leur age, sont tous mariés (… et pas qu’à moitié!) à des femmes sublimes et plus jeunes. Sûrement une coïncidence.
Tournons-nous vers les spécialistes, les amoureux professionnels, récidivistes du mariage. Par exemple, Sacha Guitry:”La bigamie, c’est quand on a une femme de trop ! La monogamie, c’est exactement la même chose !”, ou encore “Avec ma femme, nous avons vécu 25 ans de bonheur… puis nous nous sommes rencontrés!”. Ses épouses n’étaient, malgré tout, pas en reste. Anecdote célèbre: se promenant dans un cimetière avec Yvonne Printemps (sa deuxième épouse) Sacha lui dit : « Tu sais, un jour on écrira sur ta tombe : “Yvonne Guitry, enfin froide”. » Et l’intéressée de répondre aussi sec : « Sur la tienne, on mettra : “Sacha Guitry, enfin raide”. ». On pourrait citer Jean Marais visitant Cocteau. En ouvrant, le majordome lui demande:”Vous venez pour le maître?” Et Jean Marais de répondre : “Je viens d’abord pour le voir !”. Et terminons par l’inépuisable Woody Allen: “La dernière fois que j’ai été à l’intérieur d’une femme, c’est quand j’ai visité la Statue de la Liberté !”.
Mon seul conseil “matrimonial” pourrait néanmoins être: Si il/elle n’a pas d’humour, fuyez ! Surtout pas d’incompatibilité d’humour ! Car l’humour, c’est comme la bandaison (merci Brassens !) ça ne se commande pas. Certains rient de tout, d’autres des jeux de mots, d’autres encore du burlesque visuel. Le rire est contagieux (donc dangereux !). Et surtout n’essayez jamais d’expliquer pourquoi une blague ou un gag est drôle. Bide garanti !
Quant au cinéma, humour et amour y font bon ménage. Chacun a sa ou ses comédies romantiques préférées. Je vous ferai l’économie de ma liste.
Rions donc, jusque dans la mort car les cimetières comportent leur dose d’humour, à travers, notamment les épitaphes. Sur la tombe d’Alphonse Allais : “Ci-gît Allais, sans retour.” Une tombe britannique anonyme porte cette inscription :”Still dead thank you for checking !/Je suis toujours mort, c’est gentil de venir vous en assurer.”, une autre : “Laissez tomber les fleurs, amenez-moi de la bière !”, une autre encore :”J’étais bon en apnée, aujourd’hui je suis le meilleur”, et enfin : “Excusez-moi pour la poussière !”.
MDR!*
*espèce de LOL francophone.



