Exile On Main street… Un beau jour d’avril 1971, les Stones débarquent de leur jet privé sur un aéroport du sud de la France. Outre la petite famille, ils sont huit : les cinq membres du groupe, bien sûr, et leurs accompagnateurs fétiches, le pianiste Nicky Hopkins qui travaille avec eux en studio depuis des années, et leur section cuivres, le trompettiste Jim Price et les saxophoniste Bobby Keys. Pour certains, tout ça est très Rock ‘n’ Roll, franchement fun, même si c’est par nécessité fiscale. Pour d’autres, tels Charlie Watts ou Bill Wyman, c’est dur à avaler.
Bill Wyman : “tout était différent ici, même la nourriture. Tout ce que je connaissais depuis l’enfance avait disparu”
Charlie Watts : “Je suis anglais et je ne parle pas un mot de français. Je me sentais terriblement seul la plupart du temps sauf quand je rejoignais les autres chez Keith pour jouer. Ça me prenait sept heures de trajet par des routes étroites.”
Un palais très “Rock ‘n’ Roll” pour Exile On Main Street
Voilà donc les Stones installés en France, sur la Côte d’Azur. Keith Richards s’est dégotté un chez lui tout à fait particulier. La villa Nellcôte à Villefranche-sur-Mer a tout du palais méditerranéen et l’occupant va en faire un lieu à part où l’improvisation est de mise. L’anecdote suivante donne une bonne idée de l’ambiance. Le photographe français Dominique Tarlé a été parmi les premiers à y venir. Il ne devait y passer qu’une journée à prendre des photos avec Keith et Anita Pallenberg : “le soir, je m’apprêtais à partir, les remerciant pour cette journée quand Keith m’a dit que ma chambre était prête. Je suis resté 6 mois, participant à cette grande aventure et j’ai pris des photos incroyables. Comme ils étaient inconnus dans la région, ils pouvaient vivre comme tout le monde, se promener. Souvent, le matin, on allait voir avec Keith un spectacle de Guignol avec les enfants. Assister à un spectacle de Guignol avec Keith Richards, je peux vous dire que c’est un grand moment de la vie.”
Du printemps à l’automne 1971, la villa Nellcôte va abriter une véritable tribu, vivant selon ses propres règles. Outre les Stones, leur producteur et ingénieur du son et leurs familles, l’endroit abrite leurs amis et un peu tout le monde en fait : dealers, musiciens amis qui passaient par là, cadres de Rolling Stones Records, etc.
Le repaire des pirates
Le matin est réservé à la vie de famille. A partir de la fin d’après-midi jusqu’à tôt le lendemain matin, les Stones et les techniciens descendent à la cave et jouent, enregistrent, testent divers arrangements. Quand ils ont fini, vers 5-6 heures du matin, ils prennent le hors-bord de Keith, nommé Mandrax par provocation, et celui-ci les amène en Italie où ils vont prendre leur petit déjeuner.
Keith Richards : “on se sentait libérés de ce problème fiscal, dans un pays où personne ne nous connait et on vivait comme on l’entendait, sans craindre que des journalistes ou des policiers ne viennent troubler la fête. On se sentait un peu comme une bande de pirates qui vit selon ses propres règles.”
Un son vraiment à part pour “Exile On Main Street”
Comme aucun studio du sud de la France n’a les qualités requises, ils font venir leur studio d’enregistrement mobile (dans un camion) et enregistrent Exile On Main Street dans la cave de Nellcôte qui contient plein de petites pièces avec des murs en plâtre. L’humidité est envahissante, la chaleur éprouvante, mais c’est là qu’ils passent tous ces mois, prenant parfois deux semaines pour finir l’enregistrement d’une chanson, selon un processus interminable et aléatoire.
Andy Johns, ingénieur du son : “voilà comment ça se passait en général : ils jouaient mal la chanson pendant deux, trois jours, puis soudain, Keith se levait, regardait Charlie droit dans les yeux, Bill devenait complètement alerte en une seconde et on savait qu’il allait se passer quelque chose, ils allaient sortir la bonne version du morceau. Et tout d’un coup, ils jouaient cette musique magnifique, divine.”
Le son général de Exile On Main Street est brut, râpeux et direct. Il évoque souvent le son qu’on peut entendre dans les Juke Joints de bord de route où des bluesmen noirs jouent des nuits entières. Tout ça sonne très “américain”, ce qui est un comble quand on pense au fait que ça a été enregistré par des anglais au pays du camembert !
Stones In Exile
Il existe un excellent documentaire sur cet album, Stones In Exile, qui retrace tout le processus ainsi que les “particularités” de la vie à Nellcôte. Certains musiciens connus y expliquent toute l’influence que cet album a eu sur leur approche de la musique.
Comment vivent les pirates ?
Mick Jagger : “d’une manière générale, je ne suis pas obsédé par la discipline, j’aborde le travail de manière relâchée. Mais quand il n’y a aucune discipline, comme à Nellcôte, le côté hasardeux et interminable du processus me pèse.”
Anita Pallenberg, petite amie de Keith et maitresse de maison à Nellcôte : “au début c’était amusant. J’ai perdu la notion du temps. Mais n’importe qui pouvait entrer et sortir à Nellcôte, c’était n’importe quoi sur la fin : on n’arrêtait pas de prendre des drogues, toute la journée.”
Bill Wyman : “à la mi-septembre, un gars est entré alors qu’on était tous là, il a pris huit guitares, une basse et un saxophone et est parti avec sans que personne ne s’en aperçoive.”
En septembre, le temps est devenu maussade. Les Stones ont conscience qu’ils sont arrivés au bout du processus et qu’il faut aller finir l’album à Los Angeles, comme ils le font pour chaque album… La fête est finie dans le palais des pirates. De plus, la police française commence à se douter qu’on ne fume pas que des cigarettes et qu’on ne prend pas que de l’aspirine dans la villa. Ça sent le roussi !
Le Sunset Sound Studio de Los Angeles
Quel que soit le lieu où ils enregistrent leurs albums, les Stones ont l’habitude de le finir dans le Sunset Sound Studio de Los Angeles. Exile on Main Street n’échappera pas à la règle sauf que beaucoup de choses restent encore à faire sur cet album. Bien que les pistes de base des morceaux aient déjà été enregistrées à Nellcôte, les arrangements et le mixage vont prendre un temps considérable, encore une fois selon un processus interminable et aléatoire, par tâtonnements. Pour finir, Mick et Keith effectuent des mixages séparément et les comparent, ce qui éloignera encore la date de sortie du disque.
Les morceaux
C’est un double album, avec beaucoup de morceaux captivants. Voilà quelques perles parmi les perles :
Rocks Off :
Shake Your Hips :
Casino Boogie :
Tumbling Dice :
Sweet Virginia :
En live :
Sweet Black Angel :
Happy :
Ventilator Blues :
All Down The Line :
En live :
Les pirates en tournée
Pour promouvoir l’album, les Stones parcourent l’Amérique en 1972 dans ce qui restera probablement la tournée de Rock ‘n’ Roll la plus mémorable de tous les temps. Le mode de vie pirate de Nellcôte y est la règle, les journées calmes et sans histoire constituant l’exception. Plusieurs documents permettent désormais d’apprécier cette tournée.
Tout d’abord le film et album live Ladies And Gentlemen, The Rolling Stones, où le groupe délivre d’excellentes interprétations de ses morceaux d’Exile on Main Street. Rober Greenfield a suivi la tournée et écrit un livre dessus, A Travers L’Amérique Avec Les Rolling Stones. Cet ouvrage fourmille de détails sur les frasques du groupe et de son équipe pendant la tournée. Complètement surréaliste !
La prochaine fois : l’album Goat’s Head Soup
Précédemment :
L’âge d’or des Rolling Stones : Sticky Fingers
L’âge d’or des Rolling Stones : Get Yer Ya Yas Out