
Une grande partie du vingtième siècle s’est caractérisée, socialement et politiquement, par une opposition droite/gauche, souvent doublée d’une opposition catholiques/prosciences, athées (parfois « bouffeurs de curés »).
Les seconds, à juste titre, défendaient la rigueur de leurs pratiques, la justesse de leurs analyses, vérifiables et précises, opposées à ce qu’ils considéraient comme une superstition. Ils déploraient le peu d’espace médiatique accordé alors à leurs thèses par opposition à l’église qui était partout. Ils espéraient la fin, ou tout au moins le déclin de la religion et disaient, écrivaient qu’à ce moment-là, l’humanité pourrait enfin rentrer dans un âge de raison et de rationalité.
Or, que voit-on ? La religion catholique est en effet, et ô combien! en déclin, mais au lieu de se tourner vers la science, qui pensait « remporter le match », beaucoup se mettent à croire n’importe qui et n’importe quoi. Il y a pléthore de cultes, de sectes, d’écoles, de mouvements et donc de gurus, leaders, grands prêtres, prophètes…
Par exemple, la terre est redevenu plate ! Ce qui m’étonne d’autant plus qu’un simple coup d’œil dans le ciel me permet de voir que le soleil ou la lune sont obstinément ronds.
De la même manière, grâce aux techniques nouvelles, caméras diverses présentes absolument partout, finis le monstre du Loch Ness, le Yéti, les extraterrestres, les martiens verts et les vénusiens jaunes. Finies toutes ces balivernes. Finies d’accord mais qu’y a-t-on gagné ? Le monde va-t-il mieux, le bon sens règne-t-il rendant la vie meilleure ? Pour ma part, je trouvais de la fantaisie, de la poésie dans ces légendes bien innocentes.
Pour changer de registre, sur le plan social, économique ou politique, l’opacité régnait souvent avec son lot de piston*, de népotisme, de fraudes, de salaires pharamineux, de magouilles et d’arrangements divers. La télévision d’état était à peu près verrouillée et les dénonciations rares. Beaucoup de citoyens, des journalistes sans pouvoir ou audience qui connaissaient ces dérives étaient écœurés et se raccrochaient à l’espoir d’un vrai changement qu’ils trouvaient trop lent. J’ai ainsi entendu et lu très souvent : « Il n’y a pas de vrai changement car les gens ne savent pas. Le jour où ils sauront… ».
Eh bien, force est de constater, depuis plus de 20 ans, que nous avons les moyens de savoir, et en direct ! Réseaux sociaux, chaînes d’information en continu, médias divers. Nous voyons les horreurs des guerres en temps réel, nous savons les salaires pharamineux des acteurs, chanteurs, leaders économiques, sportifs. Nous connaissons les scandales du diesel, des eaux minérales, nous connaissons les dangers du téflon, des nitrates, des pesticides. Nous savons que telle campagne est financée par la Russie, telle autre par la Libye. Qu’est-ce que cela change ? Ceux qui rêvaient d’un changement moral, d’un avènement de l’honnêteté, de l’intégrité en sont pour leurs frais. Au contraire, les quelques scandales cités plus haut, au lieu de dénoncer les pratiques de quelques-uns ne servent souvent qu’à jeter le soupçon et l’opprobre sur les autres, pourtant vertueux et qui sont la majorité !
Et que l’on ne croit surtout pas que je parle d’un temps que les moins de vingt ans… Que l’on se souvienne de la très récente crise du covid. Le confinement amena chacun à réfléchir. Lors des émissions, sur les réseaux sociaux, dans les échanges familiaux, tous étaient formels. Cette crise résultait d’un grand n’importe quoi écologique (nouveau virus du à la destruction de la nature et de ses filtres) et économique (l’absence de production de masques, de vaccins due à une mondialisation sauvage et à une recherche effrénée du profit) et débouchait sur un désastre social (solitude, dépression, chômage…). Et tous de dire : « Nous avons compris les erreurs du passé, nous avons retenu la leçon ! ». On allait voir ce qu’on allait voir dans le fameux monde d’après !
Il me semble que nous y sommes. Si quelqu’un a vu un changement, dites-le moi !
Dois-je parler de politique sur l’air de si les gens savaient ? Quand j’entends des citoyens, nombreux, déclarer : « Je vote à l’extrême-droite parce qu’on ne les a jamais essayé ! » j’ai juste envie de hurler. Et il y a quatre ans, devant les outrances de Trump, il s’est trouvé beaucoup de chroniqueurs et de citoyens américains (mais pas seulement) pour dire que « s’ils avaient su » ils auraient voté différemment. La dernière élection vient à point, j’espère, pour enlever les dernières illusions des « sijavaissutistes ».
N’en déduisez pas que je suis nostalgique, je ne suis simplement pas angélique. Je n’en conclus en rien que c’était mieux avant, mais qu’il faut se garder du « ce sera mieux après ! ».
Tout cela vient, à mon avis, surtout du fait que l’on espère que le changement viendra des autres, qu’il nous sera apporté tout fait, par un homme ou une femme providentiels, par un mouvement politique, par une invention nouvelle, sans que nous ayons à faire le moindre effort. Et c’est avec l’espoir que naissent les déceptions.
Ne pas espérer, donc ? Peut-être faut-il préférer à l’espoir quelque chose de plus âpre, de plus douloureux mais porteur de plus de possibilités : la lucidité. Souvenons-nous de René Char : « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. » Mais hélas, tout comme la vérité, le soleil est dur à regarder en face.
*Je note au passage que, d’après mon expérience personnelle, les mêmes qui pourfendent avec véhémence le parachutage en politique, le placement des proches dans les médias ou la finance, ne voient absolument rien de mal à la pratique quand elle concerne leurs rejetons. Dès qu’ils peuvent bénéficier de ce qu’ils appellent alors un « coup de pouce », ils sautent sur l’occasion, sans chercher à savoir s’ils ne barrent pas alors la voie à plus doués, moins bien lotis qu’eux. Les mêmes, d’ailleurs, pourfendent les profiteurs de tous bords mais n’hésitent jamais à frauder dès qu’ils le peuvent. Adage pratique et bien connu : « Faites ce que je dis… ».