
Avec M. QUELLE, une sorte de théâtre de l’absurde, une farce poétique douce-amère nous est jouée avec humour. Télescopage de pensées déstabilisantes et de déconvenues philosophiques dont le personnage est tantôt l’origine, tantôt le sujet pour un narrateur très attentif aux humeurs existentielles de sa créature. On y trouve tout, et surtout nous-mêmes, les humains. « Quelle », c’est « la source » en allemand.
Que trouve-t-on par ailleurs dans la source ? Un peu tout. Des images fortes : Il se soumit, le cou dégagé, sa tête s’offrant au couperet ainsi qu’elle se montra entre les cuisses de sa génitrice… Il riait sous cape juste avant, seul, contre l’enfant qu’il fut et qu’il avait étouffé sa vie durant. Des néologismes réjouissants : la « syngîte » offerte à M. Quelle par une cellule administrative mise à son service afin de l’accompagner dans son évolution psychologique car il n’était pas le premier à quitter son statut d’homme pour celui de singe puisque l’adaptation physiologique, elle, ne présentait pas de difficultés majeures ; ou les phénomènes appelés « miracules » pour petits miracles, qui furent découverts et nommés ainsi par un Canadien, comme on le devine par la sonorité désuète du terme.
Dans les interrogations métaphysiques ou dérisoires, on se glisse avec plaisir même si la lecture in extenso est déroutante ; mon attention ayant eu un peu de mal à suivre les soubresauts de la pensée du personnage qui fait quelquefois songer à la course d’une bille dans un flipper.
Mélange de Monsieur Teste par la recherche – même pataphysique – de la pensée pure, de Monsieur Hulot par la difficulté que M. Quelle montre à s’insérer dans ce monde, de Bouvard et Pécuchet par le ton sentencieux et définitif fréquemment adopté ; j’y ai même vu à certains moments du Tex Avery, du burlesque de Slapstick Comedy. On peut tout remplacer dans les raisonnements suivis par M. Quelle, ainsi qu’il est écrit dans le chapitre « Combattre l’ennui » : M. Quelle se trouvait devant un parterre de jeunes salariés (si celle allusion au petit monde de l’entreprise blesse la lecture du poème, remplacer salariés par fleurs ou tombes ou circuits électriques).
Les tribulations de M. Quelle donnent l’impression d’une IA qui découvrirait le monde et la société humaine : Décidemment, M. Quelle jamais ne put se plier aux notions de bien et de mal. Certes, il les utilisait pour suivre une série à la télévision. Grâce à elles, il rangeait sans peine les personnages en deux catégories : les bons et les mauvais, même si le scénario se voulait subtil. Ou encore : Il se rabattit sur des livres savants. Mais, passé leurs grands principes, qui l’exaltaient, il se perdait en conjectures quant à leur mise en application. Ce n’est plus une IA, c’est nous-mêmes.
Des saillies nous font revenir à l’attention : Oui, la geôle libre et confortable est l’avenir de l’homme. Le narrateur va et vient du personnage au lecteur qu’il ne se contente pas de prendre à témoin : nous voici instrumentalisé en tant que personnage nous-même, accompagné par un sourire retors ou bienveillant selon l’objet du chapitre. On se salue beaucoup entre personnage, auteur et lecteur ; ce miroir qui nous est tendu fréquemment nous déstabilise délicieusement. Si nous y voyons M. Quelle, nous pouvons également nous y reconnaître. Si c’est ce que souhaite Pierrick de Chermont, c’est réussi.