
Jean-Luc Maxence en allé ! quelques mots jetés sur un papier ne suffiront pas. Mon vieil ami. Mon camarade, dirait-il, parce que la camaraderie ne renvoyait pas chez lui à la politique, mais bien à l’insouciance des amitiés d’enfance doublée d’un chemin de profondeur.
Ce fut un privilège. Parce qu’il est une âme libre et fidèle, rare parmi les esprits de notre temps. Et parce que la qualité de son amitié était sans tâche, profonde, simple et inconditionnelle. Me souviendrai-je de son intelligence brillante ? Peut-être, mais certainement moins que de nos rires communs, de ses coups de gueules qui n’étaient jamais si sérieux qu’ils omettaient l’humour, de sa plume sauvage et acérée toujours prête à tracer des traits d’amour sur des feuilles qui n’attendaient que ça, et des heures passées ensemble pour ceci ou pour cela, ceci et cela valant toujours le temps qu’on y passait.
Un jour, il me dit « Je te voudrais bien dans l’équipe de rédaction de Rebelles, notre nouveau magazine ». Je lui dis que c’était tentant, mais que m’inclure risquait de ne pas faire plaisir à tout le monde. Et lui de répondre, dans un style littéraire des plus Maxencien : « S’ils sont pas contents, on s’en fout c’est des cons ».
C’est ainsi que je commençais dans Rebelles avec le dossier du numéro 3 : « La Foire aux Cons c’est Maintenant ». Mais il le savait très bien, comme le disait… comme ne le disait pas Camus, « le con c’est l’autre », et jamais sa critique ne se mêlait de haine ou de condescendance pompeuse. D’ailleurs, bien souvent il nous fourguait, lui y compris, dans le groupe de ceux qui auraient bien pu être affublés du substantif peu élogieux.
Il est certainement le seul qui, après que je lui ai fait parvenir quelques poèmes de ma facture, m’a répondu en souriant de son œil bleu : « Franchement, c’est nul ». Et nous de rire ensemble à ce qui était certainement une vérité qui ne souffrait pas d’hypocrisie.
Mais ce n’est pas pour ça que je l’aime. Mon affection s’enracine ailleurs. Elle plonge dans quelque chose qui est inconditionnel : ce qu’il est, lui, éternellement.
Certainement indescriptible avec le langage des mots, je dis quand même que c’était un vrai rebelle. Pas un rebelle en carton accroché à l’une des idéologies prémâchées qui pullulent sur notre petite planète. Non, un rebelle au statu quo, un rebelle à ce qui ne vient pas du cœur, un rebelle à ce qui provient de l’ignorance, de la haine, de l’exclusion, de la méchanceté, de la laideur. Un poète, un poète bienveillant sans être mièvre, un grand cœur pourtant sans concessions. Un artiste. Un ami. Admirable.
Il me l’avait écrit à quatre reprises : « L’amitié ne s’écrit pas, elle se vit ». Il avait écrit aussi de nous que le « hasard fit de nous deux, deux larrons de même quête ». C’est encore le cas et ça le sera pour toujours. Parce que la vraie amitié, c’est pour toute la vie. Et la vie, aussi paradoxal que cela puisse sonner, ne s’arrête pas avec la mort.
Quelques mots jetés sur un papier ne suffiront pas.