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Commençons par les morceaux : It’s Only Rock ‘n’ Roll (But I Like It) : un hymne et une profession de foi dans laquelle tous les fans de Rock se reconnaissent. Ron Wood et Kenney Jones des Faces, respectivement à la guitare acoustique 12 cordes et à la batterie (à la place de Charlie Watts).
Time Waits For No One : un très beau morceau magnifié par l’un des plus beaux solos de Mick Taylor sur le final. Les Stones ont tous à peu près la trentaine et Jagger, dans ses paroles, parle avec subtilité de ce “temps qui n’attends personne”.
Luxury : l’un des premiers reggaes enregistrés par les Stones. Évidemment, ça ne sonne pas trop Reggae vu le son des guitares mais le groove y est.
Dance Little Sister : un rock qui pourrait être simpliste sans le génie de Keith Richards. Un riff très simple mais imparable qu’il paraphrase et modifie subtilement tout au long du morceau comme lui seul sait le faire. Une écoute attentive de sa guitare sur la droite constitue à elle seule une étude de ce que peut être un riff.
Fingerprint File, outre ses qualités musicales très orientées Funk, propulsée par la guitare avec phasing de Keith et une basse funky jouée par Mick Taylor, cette chanson possède des paroles étonnantes d’actualité. Le narrateur y détaille tous les moyens électroniques par lesquels les gouvernants et les services secrets nous surveillent et nous contrôlent. En 1974, quand elle est sortie, elle préfigurait évidemment une dictature du futur à la 1984 de George Orwell. A notre époque de pass sanitaire, de “narratif officiel” du pouvoir par le biais des médias corrompus, de surveillance sur internet et par le biais de nos portables, elle semble désormais décrire ce qui se passe maintenant. Une dystopie sous forme de chanson qui s’est malheureusement réalisée dans l’indifférence générale.
Une atmosphère “fin de civilisation” pour It’s Only Rock ‘n’ Roll
Un très bon album donc, mais auquel le recul du temps donne une atmosphère historique très “fin de civilisation”, et dont les perles incontestables qu’il contient se peindraient avec la luminosité très particulière des couleurs au soleil couchant.
Les Stones ne seront plus jamais les mêmes et c’est leur deuxième période, leur âge d’or qui s’achève.
Le départ de Mick Taylor
Peu de temps après la sortie de l’album It’s Only Rock ‘n’ Roll (But I Like It), Mick Taylor quitte officiellement les Stones. Vu sa grande contribution dans le dernier album, cette décision a de quoi surprendre. Bien des versions des causes de son départ vont circuler, plus ou moins confirmées par l’intéressé. Il aurait été lassé de n’être jamais crédité pour ses contributions aux compositions. D’un autre côté, il ne semble pas qu’il ait réclamé quoi que ce soit et essuyé un refus. Il avait d’autres projets musicaux en tête. Sa future carrière, en dents de scie, ne semble pas avoir confirmé la chose. La vérité est peut-être beaucoup plus simple. Dans le documentaire Crossfire Hurricane, au journaliste qui lui demande pourquoi il a quitté les Stones, il répond : “je ne sais pas… Je crois que je ne savais plus où j’en étais à l’époque. J’étais accro à l’héroïne. Je crois que je sentais que si je ne m’éloignais pas des Stones, je ne m’en sortirai jamais et que j’allais crever. Je pensais, à tort ou à raison, que si je continuais à voir les mêmes gens, je n’arriverai pas à décrocher. Alors pour rester en vie, pour ma famille, il valait mieux partir”.
Un autre aspect du problème mérite d’être relevé. Si Charlie et Bill sont incontestablement la locomotive sur laquelle les Stones peuvent avancer, à tel point que personne n’aurait même l’idée de remettre en cause leur stature, les deux grandes personnalités du groupe sont Mick et Keith. Opposés en tous points par leurs caractères respectifs, ils se complètent à merveille en musique et sont le charbon de la locomotive. Que reste-t-il alors à Mick Taylor ? Dernier arrivé, petit nouveau, le plus jeune et timide, en plus. Quand on voit avec quel genre de personnalités exubérantes et rigolardes Mick et Keith ont pu être amis, on réalise qu’ils reconnaissent la valeur de Mick Taylor en tant que guitariste et son apport immense à leur musique mais, fondamentalement, sur un plan purement humain, il n’a jamais fait partie du “club”, là où Bobby Keys, le saxophoniste, y est entré instantanément et avec le tapis rouge.
Il sera remplacé par Ron Wood, vieux copain de Keith Richards et le parfait trait d’union entre les membres du groupe. Sa personnalité géniale, drôle et chaleureuse était l’élément de stabilité qui allait permettre aux Stones de durer.
A plusieurs reprises, Mick Taylor rejoindra les Stones sur scène pour interpréter avec eux les morceaux auxquels il a le plus contribué et, à chaque fois, une évidence crève les yeux : le grand guitariste soliste des Stones c’est lui, incontestablement.
Epilogue
It’s Only Rock ‘n’ Roll (But I Like It) est donc le dernier album des Stones avec Mick Taylor et le dernier que l’on aura parcouru dans ce cycle réservé à l’âge d’or des Rolling Stones. Bien sûr, ce n’est pas la fin des Stones et ceux-ci resteront et restent encore un grand groupe de scène. Ils nous gratifieront même de quelques bons albums. Le choix de limiter cet âge d’or aux albums compris entre Beggars Banquet et It’s Only Rock ‘n’ Roll a été motivé par une simple évidence. Avant Beggars Banquet, les Stones tels qu’on les connait désormais n’existaient pas encore. Après It’s Only Rock ‘n’ Roll, leur légende restera intacte, quoi qu’ils fassent. A tel point qu’un journaliste de rock qui essaierait de descendre les Stones à l’heure actuelle apparaitrait aux yeux de ses pairs pour ce qu’il est : un scribouillard mesquin qui essaie de se faire un nom. Il est difficile de rester crédible quand on s’attaque à une légende gravée dans le marbre, d’autant plus qu’elle a couté cher à ses protagonistes sur un plan humain. L’histoire du groupe n’a pas été un long fleuve tranquille, comme on l’a vu, et plus d’un groupe aurait capoté dans des circonstances similaires. Alors, ces épreuves surmontées et le fait qu’ils soient toujours là constituent un motif de respect et d’admiration supplémentaire pour leurs fans.
Laissons le mot de la fin à Keith Richards : “c’est étrange la façon dont les gens parlent des Stones. On dirait qu’on existe depuis toujours et qu’on est là pour l’éternité, un peu comme la Lune ou les étoiles (rires)”.
PS : quelques perles des Stones après leur âge d’or.
Mixed Emotions, leur grand retour en 1989 :
Let Me Down Slow, une troublante chanson où les paroles sensibles de Jagger le dispute à des arrangements de guitare beaux à pleurer par moments :
Les Stones à Paris le 23 juillet 2022. Après un hommage à Charlie Watts, décédé en 2021, une entrée en fanfare avec Street Fighting Man :