Beggar’s Banquet vient donc de sortir et la nouvelle se répand comme une trainée de poudre : les Rolling Stones sont de retour, et avec un très, très grand album !
The Rock And Roll Circus
Pour promouvoir l’album, les Stones, sur une idée de Mick Jagger, organisent une émission de télévision, The Rock And Roll Circus. Dans un cirque, plusieurs artistes se succèdent dont les Who, Jethro Tull, John Lennon et, pour finir les Stones. Les spectateurs sont habillés humblement, de capes et de chapeaux mous (Beggar’s Banquet = banquet des mendiants)
Les morceaux
L’album débute avec un morceau d’anthologie, Gimme Shelter, sur lequel j’ai déjà écrit un article :
https://rebelles-lemag.com/2021/05/23/gimme-shelter-ou-la-fin-de-lamerican-way-of-life/
Love In Vain : peut-être la plus belle chanson de Robert Johnson, reprise magnifiquement ici.
Midnight Rambler : si on devait choisir un seul morceau pour représenter à la perfection la musique des Stones, ce serait celui-là. Mordus de Blues depuis leur adolescence, Jagger et Richards ont composé là un hommage au genre, une sorte de mini-opéra, c’est à dire conçu en plusieurs mouvements. Les versions live de cette chanson sont remarquables. J’en sélectionnerai plusieurs qui sont mémorables.
You Got The Silver, une très belle chanson de Keith Richards :
Monkey Man, une chanson énigmatique et un vrai festival de riffs :
You Can’t Always Get What You Want. L’introduction par un choeur Gospel a de quoi surprendre. Un grand classique.
Les adieux du troubadour magnifique
Pendant The Rock And Roll Circus, Brian Jones est là, sur scène, mais semble ailleurs la plupart du temps. Ce show télévisé sera sa dernière prestation avec les Stones. Pendant les séances de l’album Let It Bleed, sa contribution n’a été rien moins qu’anecdotique alors qu’elle était encore très forte dans Beggar’s Banquet. Keith Richards se retrouve maintenant à devoir enregistrer toutes les parties guitares. Les Stones n’ont pas fait de tournées depuis deux ans et veulent entamer une tournée américaine… Bref, la coupe est pleine et une décision cruciale doit être prise pour la survie du groupe.
Le 8 juin 1969, Jagger, Richards et Watts vont rendre visite à Jones pour lui demander de quitter les Rolling Stones. Ce dernier n’a pas protesté et était d’accord sur toutes les remarques faites concernant son absence de contribution au groupe. Charlie Watts : “il nous écoutait, effondré, et était d’accord sur tout. On aimait ce gars mais on ne pouvait pas continuer avec lui. C’était un moment tellement triste, tellement triste.” Le lendemain, Brian Jones fait une déclaration officielle comme quoi il quitte les Rolling Stones et dévoile certains de ses projets musicaux. Le 3 juillet 1969, il est retrouvé mort dans sa piscine, apparemment noyé. Le concert des Stones à Hyde Park du 5 juillet sera dédié à sa mémoire.
Pour en savoir plus sur Brian Jones :
Mick Taylor : le guitariste soliste de l’âge d’or des Rolling Stones
En plus de l’exploration de l’open tuning de Sol par Keith Richards, s’il y a bien un autre facteur concourant à l’existence de cet âge d’or des Rolling Stones, c’est l’arrivée du guitariste Mick Taylor. Pendant cinq ans, il va apporter au groupe un lyrisme de haut niveau. Keith Richards a toujours été un grand guitariste rythmique, Brian Jones peignait des couleurs sonores inédites par son multi-instrumentisme mais Taylor est un grand, un très, très grand guitariste soliste, au style personnel reconnaissable instantanément. Sa carrière a commencé de manière originale, comme dans un film. Eric Clapton jouait dans les Bluesbreakers de John Mayall et attirait à lui toute l’attention. Un soir, à un concert, il n’est pas venu. John Mayall a autorisé Mick Taylor, présent en tant que simple spectateur, à prendre sa place. Il a tellement bien relevé ce défi, qui aurait intimidé n’importe quel guitariste anglais de l’époque, que Mayall l’a engagé dans les Bluesbreakers pour les années suivantes. Les fans du groupe ont très vite oublié Clapton, ce qui n’est pas peu dire. Quand Mick Jagger a dit à John Mayall que les Stones recherchaient un guitariste pour remplacer Brian Jones, Mayall lui a parlé de Mick Taylor et c’est ainsi que celui-ci a rejoint le plus grand groupe du monde. Sa contribution donnera à cette époque du groupe ses plus beaux fleurons. Ce sera aussi le sommet de sa carrière à lui.
Honky Tonk Women
Enregistré pendant les séances de Let It Bleed mais n’apparaissant pas dans l’album, c’est le premier hit des Stones en open tuning de Sol. Il y en aura bien d’autres. L’idée de prendre une chanson country de l’album, Country Honk, et d’en faire un rock pur et dur vient de Mick Taylor, tout juste arrivé dans le groupe, et il contribuera énormément à l’arrangement de la chanson. Il commence très fort celui-là !
La nouvelle amie de Keith
La chanson Gimme Shelter ne traite pas que de l’insécurité du monde de l’époque et de la paranoïa qui en découle. C’est également une chanson plutôt personnelle pour Keith Richards. Il avouera dans son autobiographie Life qu’il a eu de forts soupçons de l’infidélité de sa petite amie, Anita Pallenberg, avec Mick Jagger à l’époque. L’amère déception qui en découle ainsi que la pression ressentie d’une manière générale depuis plusieurs années vont le décider à s’engouffrer dans une “voie de sortie” dangereuse : l’héroïne. Commencera à ce moment-là une addiction dont il ne se débarrassera que bien des années plus tard.
La plupart des musiciens anglais prenaient des drogues depuis le début des années 60, ne serait-ce que des amphétamines pour tenir le coup face au train de vie effréné en tournée et au manque de sommeil. Les Beatles en prenaient déjà pour jouer dans les clubs de Hambourg quand ils étaient débutants. Ce n’est qu’au milieu des 60’s que les drogues ont commencé à avoir un but “récréatif” mais l’habitude d’utiliser des substances comme solution à quelque chose était déjà prise.
Le concert de Hyde Park
Prévu au départ comme un simple concert gratuit en plein air, la coïncidence des dates va faire de ce concert un hommage à Brian Jones, qui vient de décéder. Au début, Mick Jagger va lire Adonais, un poème de Shelley, qui célèbre la pérennité de l’oeuvre d’un être humain et l’immortalité de son âme :
Paix ! Paix ! Il n’est pas mort. Il s’est simplement éveillé des songes de l’existence humaine.
Sur un plan purement musical, les Rolling Stones ont parfois mieux joué et le niveau est largement en dessous de ce à quoi on va assister quelques mois plus tard mais ce concert a deux fonctions essentielles qu’il assumera à merveille : clore en beauté la première époque des Stones et révéler les temps à venir.
Un futur prometteur : la redécouverte de l’Amérique
Pour établir la réputation de ce nouveau groupe et faire connaitre les deux derniers albums enregistrés, les Rolling Stones vont partir en tournée américaine en novembre 1969, leur plus grande tournée depuis bien longtemps.
La prochaine fois : Get Yer Ya-Ya’s Out!