Une réforme des retraites est en débat à l’Assemblée nationale. Elle fait l’objet d’une contestation intense, avec des manifestations : elle serait injuste et inutile.
Les débats s’articulent autour du 9ème rapport du COR (Conseil d’Orientation des Retraites) de 2022, qui établit plusieurs scénarios. Le gouvernement s’appuie sur un scénario dans lequel les régimes de retraites sont déficitaires et les syndicats sur un autre qui suppose fonctionnel le système actuel et ne nécessite donc pas de réforme des retraites. Tout le monde a confiance dans le rapport du COR, ce qui est un fait rare. Cet accord unanime avec le COR est un analyseur.
Beaucoup d’articles détaillent les chiffres… se posent la question de savoir, par exemple, qui gagne et qui perd dans cette réforme, la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, l’égalité intergénérationnelle… On pèse les sous comme des orfèvres sur des balances sensibles au souffle des zéphyrs. La pénibilité entre en ligne de compte, la durée des études et l’âge de l’entrée dans la vie professionnelle… Cela donne des débats techniques plein de chiffres qu’il faudrait vérifier, des débats d’experts-comptables. Certains auteurs savent trouver de l’argent pour des retraites équilibrées dans des réserves auxquelles on n’a pas pensé, et si l’argent était pris là, personne ne s’en rendrait compte !
Une réforme des retraites soumise aux idéologies
On détaille aussi les intentions, la plus ou moins bonne volonté, les idéologies…
En ce domaine, tout le monde prétend dire le vrai et attribue l’idéologie aux tenants des autres points de vue ; c’est l’ordinaire des débats : « vous êtes idéologues alors que je parle de ce qui existe vraiment » se jettent à la figure les deux opposants.
Tout commence au rapport du COR. Personne ne traite de la validité des hypothèses de ce Conseil d’Orientation des Retraites. Dans leur rapport, hypothèses et scénarios sont du même tabac, une hypothèse entraine un scénario, un scénario suppose une hypothèse. Ces hypothèses portent sur la démographie, la productivité du travail, c’est-à-dire le PIB et sa croissance, le taux de chômage.
Le 9ème rapport annuel du COR est un instrument institutionnel, qui s’appuie sur les prévisions du gouvernement, tant qu’il y en a, c’est-à-dire jusqu’à 2027, qui s’appuie sur des organismes internationaux, des instituts de conjoncture… bref, des organes du libéralisme. Ce rapport est un produit des institutions du libéralisme. On peut faire l’hypothèse que s’il convient aux syndicats, c’est que ses scénarios comprenant le plus de croissance permettent de ne rien changer à l’âge de départ à la retraite (avec une baisse relative des pensions, dont on parle peu).
La raison principale qui rend ces calculs caducs et vains par avance est qu’ils se situent dans la « banane économique », c’est-à-dire qu’ils ne considèrent l’activité de production des richesses que dans l’activité des hommes : sont omis ce qui se passe avant et ce qui se passe après, sont omis ce qu’on prend à la nature et ce qu’on lui rend, sont omis l’épuisement des ressources fossiles et l’encombrement de l’air par le CO2.
Changement climatique ?
Le changement climatique n’est évoqué qu’une fois, dans un domaine que l’on peut trouver marginal par rapport à la question posée, l’espérance de vie et du bien-être : « Pour l’avenir, en projection, si les projections démographiques de l’INSEE tablent encore sur des progrès de l’espérance de vie, il est possible que le ralentissement des gains de productivité conjugués avec des dépenses qui devront être consenties pour prévenir ou s’adapter au changement climatique ne permettent pas une progression des conditions du bien-être telle que celle enregistrée sur les 70 dernières années. » (P188) Donc, la « solidarité » entre le COR et l’INSEE amène à prendre en compte les dépenses pour prévenir le changement climatique ou s’y adapter uniquement dans une baisse du bien-être par rapport aux trente glorieuses. Le verbe « prévenir » n’est utilisé que là et « adapter » deux fois, l’autre occurrence parle d’adapter l’offre à la demande. Le mot « fossile » n’apparaît pas. Quant au mot « ressource », il est toujours associé aux retraites (ressources du système des retraites).
Il n’y a rien sur la question des ressources naturelles dans les calculs du Conseil d’Orientation des Retraites.
Si l’on veut enfoncer un peu plus le clou, on peut noter que c’est le seul passage où les gains de productivités sont associés à un ralentissement. L’ensemble du rapport est fondé sur quatre hypothèses, quatre taux de croissance de la productivité du travail. Une note en légende d’un graphique donne la définition de cette productivité (p44) : « la productivité horaire est égale au rapport entre la valeur ajoutée et le volume d’heures travaillées. À partir de 2032, la croissance de la productivité du travail est supposée constante jusqu’en 2070 dans tous les scénarios et variantes. » Qu’est-ce qui permet d’établir cette hypothèse de constance de progression de la productivité horaire ?
Le fait de négliger la participation de ce qui ne dépend pas de nous à notre richesse pose question pour cette réforme des retraites. Le pétrole est gratuit, le charbon est gratuit… on ne les paie pas à notre fournisseur : le sous-sol de la planète. Il est en principe indiscutable que tout stock, aussi vaste soit-il au départ, ne peut que se réduire en volume et s’épuiser. Parler d’énergie renouvelable est une forme d’aveu : on sait bien que l’on disperse, dépense des énergies non-renouvelables. Le COR et tous ceux qui adhèrent à son rapport, tout le monde donc, acceptent deux hypothèses incompatibles : la planète ne concourt pas à la richesse des hommes ; et on organise une réparation et adaptation au changement climatique. Les mots suffisent : la transition énergétique est dans les discours du gouvernement et tout le monde fait semblant de croire qu’elle est dans les actes de ce fait.
Les choses ne sont pas comme ça. Si on tient compte de toute la chaine productive, de toute la banane économique, l’organisation des retraites ne concerne, au mieux, que les plus de 55 ans. La production ne se continuera pas comme avant avec les désordres de la planète. On arrose les vignes, et on cultive de la lavande en Beauce. En 2021, les producteurs de blé du Canada ont subi une des pire sécheresse, avec des records de températures. Leur rendement a diminué de 38,1 % et les exportations de 44,0 %. À l’heure où j’écris, la recharge des nappes phréatiques est insuffisante. Plus des trois-quarts des nappes sont sous les normales mensuelles. Les récoltes vont s’en ressentir.
Dans les prévisions du COR, le PIB de la France aura plus que doublé en 2050 (C’est ce que déclare Alexis Corbière dans la vidéo de la commission des finances et celle des affaires sociales, https://www.youtube.com/watch?v=hJQdHLqKDN0 à 34’47’’. Je n’ai pas fait le calcul).
Réforme des retraites versus préservation de la planète
Nous continuons à raisonner dans la vieille économie que nous devrions résilier. Notre « res publica », nos affaires communes sont dans la préservation de la planète. Là est le danger que nous devons écarter, pas dans le fait qu’on pourrait verser plus de pensions de retraite et que les possédants, par égoïsme, gardent ce surplus.
Si les opposants à la réforme des retraites qui se vivent comme des opposants irréductibles à un système injuste (le capitalisme) sont d’accord avec le COR, c’est que ce COR est la forme magistrale de la dénégation des problèmes réels que rencontre l’humanité. Avec ses hypothèses anhistoriques de permanence de la productivité et de la production, le COR obtient l’adhésion des deux classes inconciliables (les possédants, possédants les moyens de production et les travailleurs ne possédant que leur force de travail). Cette adhésion commune montre la profonde unité des « révolutionnaires » et des « révolutionnés », quant à la croyance en la disposition sans fin de richesses infinies de la planète, richesses que l’on transforme pour notre bien-être (c’est l’inégalité de la répartition ex-post qui fait la lutte sociale). Il y a une sorte de joie, de jubilation à conserver là (et un peu retrouver) les oppositions socio-politiques historiques qui ont fait une très grande part de nos deux derniers siècles.
Cependant, si la CGT (et les 70% de Français opposés à cette réforme des retraites) voulait maintenir les retraites, elle n’organiserait pas des manifestations pour maintenir les choses en l’état, elle organiserait des manifestations pour maintenir la planète en état de nous maintenir, nous l’humanité.