Nous avions interviewé Juliette Cazes fin 2020 pour son livre Funèbre ! qui venait de paraître aux éditions du Trésor (Rebelles n°25 – Dossier « La Vie après la Mort », tout un programme).
Partageant des visions pénétrantes si ce n’est hallucinatoires de l’au-delà, nous avions voyagé avec elle à travers les civilisations, sous l’angle de leurs traditions funéraires. L’entretien d’aujourd’hui a pour objet de mieux comprendre la pratique au quotidien de son métier et ce qu’il révèle de notre rapport à la mort et aux morts – c’est-à-dire nous, du moins pas tout de suite mais bien un de ces quatre.
Juliette Cazes me donne rendez-vous au cimetière central de la Guillotière à Lyon où elle a ses habitudes. La Guillotière est une nécropole ancienne qui dessine un grand cercle aux contours rappelant la forme du Millenium Falcon de Han Solo. Il fait un temps splendide et nous nous installons confortablement sur le banc d’une des allées. Celles-ci structurent une partie correspondant à une « division » du grand réticule qu’est le cimetière. Le vocabulaire peut rappeler celui des armées. Les tombes sont alignées comme à la parade, dans un ordre strict et numéroté dont la logique nous échappe quelque peu et ne semble comprise que par les professionnels des lieux et les visiteurs chroniques.
Rebelle(s) : Qu’avez-vous publié depuis notre premier entretien ? Quelle est votre actualité ?
Juliette Cazes : J’ai écrit un nouveau livre, Momies (1), paru en 2022 aux éditions du Trésor. Je m’y intéresse aux corps conservés, naturellement ou non. J’y aborde aussi toutes les questions historiques, dont certaines toujours d’actualité, liées au rapatriement des corps ou à son empêchement.
Rebelle(s) : Vous parlez des momies réclamées par des pays dont les morts ont été jadis « expatriées » principalement en Occident et conservées dans des musées, voire des collections privées ?
Juliette Cazes : En effet. Où en est-on ? Comment se positionne le monde scientifique, quelles sont les implications juridiques et politiques ? Le but est de rester accessible à tout lecteur, aussi ai-je pris le parti de raconter l’histoire de plusieurs momies : la vie des personnes, de la société de leur temps et de ce qui est advenu de leurs corps. Un autre livre est sorti fin 2023, Cabinet de curiosités – insolites, médicales et macabres (2), où je m’intéresse au patrimoine des objets insolites ou objets funéraires.
Rebelle(s) : Vous voulez dire liés au monde des morts ?
Juliette Cazes : Oui, mais pas seulement car je parle des instruments médicaux. J’ai commencé ma jeune carrière dans des musées d’anatomie et c’est un sujet passionnant. Une histoire scientifique, d’inventeurs devenus célèbres ou bien aujourd’hui oubliés. Je voulais en particulier rendre hommage aux médecins français qui ont été très inventifs en la matière. Certains objets sont effrayants et peuvent rebuter mais ont fait progresser la médecine.
Rebelle(s) : Des exemples ?
Juliette Cazes : En chirurgie, des mannequins et des cires anatomiques, des archives où la société de ces temps exposait des personnes difformes, les bocaux de formol présentant des pathologies. Un « musée des horreurs » comme certains disent mais qui n’était pas considérées comme telles par les chercheurs, dont les yeux étaient ceux d’hommes de sciences.
Rebelle(s) : Le cabinet de curiosité relève bien de tous ces sentiments humains : le côté morbide, l’aspect voyeur et également le rêve, le merveilleux hors normes.
Juliette Cazes : De ce patrimoine qui est nôtre, je voulais rappeler l’intérêt car il est en danger. Les musées d’anatomie sont universitaires et n’ont pas beaucoup d’argent pour bien le conserver. Il ne faut pas qu’il continue à s’abimer ou à alimenter un marché international. Les Américains par exemple sont très friands de notre patrimoine médical ou funéraire.
Rebelle(s) : Vous connaissez le musée de l’histoire la médecine à Paris ?
Juliette Cazes : Oui, ils ont accepté de travailler avec moi sur ce livre. De nombreux musées, dont ceux de Toulouse et de Lyon m’ont apporté des photos et des autorisations de recherches ; j’ai visité des collections dans toute l’Europe.
Je ne connais pas de tel livre qui ait déjà été publié. J’ai eu la chance de trouver un éditeur car ce n’était pas gagné : les images peuvent être dures… « La mort ne fait pas vendre ! » L’éditrice chez Dunod a accroché et les équipes éditoriales, les correcteurs ont fait un super boulot. Le livre me « ressemble » un peu et c’est très agréable de se retrouver dans ce qu’on a produit, une belle préface en plus !
Enfin, va paraître prochainement en 2024 un abécédaire aux éditions Perrousseaux avec un ami docteur en linguistique ancienne, Hugo Blanchet : l’abécédaire insolite des mots de la fin (3) qui explore le lexique de la mort.
Rebelle(s) : Vous êtes thanatologue et avez une formation d’anthropologue.
Juliette Cazes : Les choses ont changé depuis 2020. Je travaille toujours en tant que thanatologue sur mon temps libre et suis sollicitée par des institutions. Par contre au quotidien, j’officie dans une chambre funéraire donc directement avec les défunts, dès leur admission. La personne qui ouvre la housse mortuaire, c’est moi. C’est un choix délibéré, pour mon équilibre personnel, d’être retournée au salariat en chambre funéraire. A Lyon s’en trouve une grande, correspondant à mes attentes. Seule à mon compte, je manquais en effet du contact avec mes collègues du monde des vivants. J’ai deux casquettes, celle avec les morts « pour de vrai » et celle de la recherche en thanatologie.
Rebelle(s) : Quelles différences y-a-t-il entre la thanatologie et votre métier ?
Juliette Cazes : Le thanatologue se concentre sur les sciences humaines, au même titre qu’un anthropologue ou qu’un sociologue. Le thanatopracteur, lui, travaille directement sur les corps mais nous n’avons pas le même métier. Je suis pour ma part au quotidien « agent de chambre funéraire ».
Rebelle(s) : Vous êtes dans l’accueil et le service.
Juliette Cazes : La chambre funéraire est une sorte d’hôtel pour les morts. Je suis habilitée à faire la toilette « traditionnelle » des morts. Le thanatopracteur, lui, réalise des soins invasifs de conservation avec des objets tranchants, des fluides… Le thanatopracteur vient de l’extérieur, est missionné par les pompes funèbres alors que je suis tout le temps dans la chambre funéraire. Je vois les familles, j’en suis souvent la confidente, ce qui est facilité par le fait qu’il n’y a pas de relation financière avec la famille, contrairement à la thanatopraxie. L’accompagnement est fondamental. Sur la partie technique, je prends soin de tous les morts, tous âges, toutes conditions… jusqu’à leur départ.
Ce mot de départ me fait penser que ces morts venus du lieu de leur décès, transitant quelquefois par l’institut médico-légal, passant par un lieu de culte, arrivent, repartent, bref n’arrêtent pas de se déplacer. Plus de 600 000 de nos concitoyens passent chaque année de vie à trépas. 6 millions en 10 ans, soit près de 10% de la population française. Les convois funéraires sont discrets car l’on n’a pas l’impression d’être particulièrement cernés par les corbillards.
Rebelle(s) : Qu’est-ce qui vous a amené chez les praticiens du monde de la mort ? Qu’est-ce qui explique votre appétence pour celui-ci, après trois années universitaires… peut-être un peu desséchantes ?
Juliette Cazes : Depuis que je suis toute petite, c’est un sujet qui m’intéresse. Je disais à mes parents que je voulais mettre du rouge à lèvre sur les gens morts. L’idée était donc déjà là. Par contre, mes parents étant complètement étrangers à ce monde s’interrogeaient ; comment y entrer ? Soit l’on n’avait pas de diplôme et c’était le résultat d’un concours de circonstances, soit sa famille y travaillait. Et à l’époque, le discours était : « fais d’abord des études, longues et universitaires ».
Comme la plupart des adolescents, j’hésitais. Je pensais à devenir médecin légiste, sauf que je n’étais pas bonne en sciences. J’ai conclu que, quitte à côtoyer des défunts, autant fallait-il commencer par des morts « anciens », le rapport au squelette permettant de garder une certaine distance. Manquant de maturité, je ne savais pas comment j’aurais pu travailler avec des morts « récents ». J’ai donc fait un parcours universitaire en archéologie et anthropologie. J’ai complété par de l’archéologie biologique, ce qui me rapprochait du funéraire. Pour poursuivre dans cette voie, il me fallait envisager un mastère mais dont l’enseignement n’était donné que dans une autre ville. Ne pouvant déménager, j’ai arrêté mes études dans ce domaine et poursuivi avec des études de tourisme, entrevoyant une voie mélangeant les deux univers.
Ce fut en partie le cas, en travaillant comme logisticienne d’expéditions volcanologiques pendant six ans : sciences et tourisme liés. Assez rapidement, le funéraire me manquant, je me suis intéressée aux rites funéraires des pays où je me déplaçais. Visitant des cimetières, je suis évidemment tombé ( !) sur un enterrement. Ce fut le déclic. Quelles sont les coutumes, les règles tacites que suivent les peuples en la matière ? J’ai fondé le blog Le Bizarreum (4) en 2017 pour échanger avec des lecteurs car je me sentais un peu seule à manifester cet intérêt. La petite structure de voyage qui m’employait m’a licenciée en 2020 au moment de la pandémie de Covid. J’avais alors le temps, la maturité et l’argent pour me former en pompes funèbres. J’ai opté pour une formation de conseiller funéraire et maître de cérémonie, un diplôme qui permet l’entrée dans ce milieu. Je n’ai pas exercé ce métier bien longtemps car je voulais être au quotidien en chambre funéraire. Une telle place s’est finalement libérée.
Rebelle(s) : Pour quelle raison souhaitez-vous côtoyer des morts, c’est-à-dire des corps ? Est-ce un troisième monde ?
Juliette Cazes : Il y a plusieurs regards possibles. Je ne les considère pas comme des « morts » mais comme des patients ; c’est la suite du soin. Avec mon équipe, nous les appelons par leurs noms et leurs prénoms. Dans nos cases réfrigérées, nous mettons chaque mois de nombreux morts mais la relation est personnalisée. Il y a toujours cette surprise à la réception d’un mort. Nous ne sommes pas au courant des circonstances du décès, secret médical oblige, sauf si les familles nous le disent. Déformation de ma formation, le premier regard lorsque j’ouvre ma housse mortuaire est d’abord technique. Presque médico-légal.
Rebelle(s) : Ce qui doit aider à prendre une distance.
Juliette Cazes : Tout à fait. Nous analysons les stigmates de la mort. J’ai besoin de comprendre rapidement ce dont le corps a besoin, soins ou simple toilette ? Nous donnons le feu vert des soins aux thanatopracteurs. Le métier n’est pas accessible à tous. Les morts dépendent de nous, il est nécessaire que nous soyons des personnes de confiance vis-à-vis d’eux. Je me sentais prête à assurer cette protection. Il nous arrive souvent d’être attendris. Nous nous adressons à eux : « Petite Madame », « Petit Monsieur ».
Rebelle(s) : Comme le personnel qui, avec cœur, s’occupe des patients dans les hôpitaux.
Juliette Cazes : C’est la continuité des soins. Un mort a besoin de surveillance. Il faut présenter à la famille un mort en bon état, car même après des soins, un mort peut changer. Expliquer à la famille pourquoi on a fait certains choix peut être nécessaire.
Rebelle(s) : La présentabilité du défunt à la famille est l’objectif, même si le temps de la réunion est limité ?
Juliette Cazes : Cette réunion permet d’acter la mort de leur proche. Il faut veiller et connaître les rites. Nous sommes « omnicultes ». Mon travail universitaire m’apporte la possibilité d’être en adéquation avec les attentes des familles quelle que soit leur religion, tout en restant dans la légalité des attentes en France.
Rebelle(s) : Il y a les cultes monothéistes mais y en a-t-il d’autres ?
Juliette Cazes : On est confronté à toutes sortes de croyances, syncrétiques ou polythéistes. Par exemple, récemment, une famille originaire de Côte d’Ivoire était tout à fait dans le dogme de leur religion, mais dans les chants, dans les attitudes, dans les vêtements, ils se distinguaient de ce que j’avais constaté par ailleurs. En fait, on trouve en France autant de cultures que d’habitants. Nous ne les connaissons donc évidemment pas toutes ! Alors on potasse, on se renseigne, on s’instruit. Il nous arrive de faire des erreurs ; les gens savent parfaitement qu’on essaye de faire le maximum, ils sont compréhensifs. Mais c’est toujours mieux de connaître les différents rites.
Rebelle(s) : Ce métier vous lie avec la totalité de la société dans ses composantes les plus variées, dans un des rares lieux où toute personne, quelle qu’elle soit, finit un jour par passer… Avez-vous une histoire à partager, qui vous a frappé par rapport à cette particularité de chacun, en même temps à cette unicité ?
Juliette Cazes : Plusieurs, bien sûr. Une journée, nous avons vu se croiser un moine bouddhiste et des toiletteurs musulmans. Les familles voyaient tout cela, étonnées mais respectueuses. Or les attitudes sont très différentes d’une culture à l’autre. Certains sont très bruyants, d’autres observent un silence recueilli. L’expression sociale du deuil se voit aussi. Nous accueillons des toiletteurs cultuels souvent bénévoles, missionnés par leur communauté pour nettoyer les morts, chez les musulmans et les juifs en particulier. Une toiletteuse musulmane m’a dit à propos d’une table de lavage qu’il serait bien d’en modifier un des éléments car tel qu’il était conçu, cela rendait la toilette du mort plus compliquée, que ses collègues juives auraient des gestes plus difficiles à effectuer. Je me suis dit que ces personnes connaissaient très bien les rites des autres et y faisaient attention.
Rebelle(s) : Ce sont les mêmes racines culturelles.
Juliette Cazes : Il y a beaucoup de gestes traditionnels communs liée à la proximité culturelle mais aussi les mêmes problématiques, par exemple le nettoyage à grandes eaux.
Rebelle(s) : C’est une belle histoire. Vous décrivez la variété, mais constate-t-on des invariants, communs à tous ?
Juliette Cazes : L’hygiène. Au-delà des obligations légales, la propreté du mort est souhaitée dans toutes les cultures. On veille une personne propre.
Rebelle(s) : La propreté est-elle symbolique – le linceul blanc – ou pratique ? S’agit-il d’une hygiène pour le mort – une marque de respect – ou bien est-ce à destination des vivants, ou bien encore pour l’ensemble ?
Juliette Cazes : Tout cela à la fois. Tous les défunts ne sont pas enveloppés dans un linceul, mais cela présente le mort de façon honorable. Le linceul ne doit pas avoir de plis. Présenteriez-vous un bijou dans un écrin qui ne serait pas beau ? La question de la beauté est très subjective. On présente les défunts de certaines cultures bouches et yeux ouverts, tels qu’ils sont morts ; comme l’exige leur coutume. N’étant pas d’une telle culture, je suis troublée par cela mais si le linceul est beau, l’ensemble l’est. C’est respectueux et je me dit que j’ai bien fait mon travail.
L’hygiène existe pour les vivants qui n’ont pas conscience de ce qui se passe post mortem. Elle existe aussi pour les morts. Une fois nous est arrivé un cadavre ensanglanté qui n’avait pas encore séché. Beaucoup de sang perdu ne sèche pas rapidement. Le visage en était couvert. Nous l’avons nettoyé dans l’attente des thanatopracteurs car aucun de nous ne se voyait le laisser comme ça.
Rebelle(s) : Un accidenté ?
Juliette Cazes : J’ai tous les retours des instituts médico-légaux. Cela peut être des accidentés, des suicidés, des victimes de meurtres. Nous ne sommes pas sensés le savoir mais il y a des évidences. Il y a aussi des personnes qui sont retrouvées chez elles après plusieurs mois.
Rebelle(s) : Ses corps arrivent dans des états de décomposition avancée restent néanmoins des défunts.
Juliette Cazes : Tout à fait. Cette valeur nous est très chère. Même putréfié et sans visage, un défunt reste un individu. Nous devons prendre des précautions particulières, ils vont dans des cases dites « négatives », cela ne nous empêche pas de faire attention à sa position afin qu’ils ne soient pas congelés n’importe comment, qu’ils puissent se tenir dans un cercueil.
Rebelle(s) : Un tel corps, une fois identifié légalement, est-il présenté à la famille ?
Juliette Cazes : Non, dans ces cas-là, on ne présente pas les corps. Olfactivement, c’est insupportable. Même dans un cercueil fermé, donc relativement étanche, c’est très difficile. Le jour du départ, le temps de présentation aux familles est donc réduit et le cercueil reste fermé.
Rebelle(s) : Vous ménagez les vivants. Je reviens au linceul. Qui l’installe, c’est vous, c’est la communauté à laquelle appartient le mort ?
Juliette Cazes : Il est systématiquement présent dans les rites musulmans et juifs. Certains qui ne sont pas de ces confessions ont demandé à être mis en linceul. Il y a un retour au linceul, sans habillement ; un souhait de simplicité. Il arrive que le linceul étant tout fermé, je ne puisse voir le bracelet d’identification. Je demande alors à des représentants de la communauté de bien vouloir sortir le bras afin que je puisse vérifier. Mais linceul ou pas, le cercueil, lui, est obligatoire en France. Il doit être homologué.
Rebelle(s) : Qu’est-ce qu’un bracelet d’identification ?
Juliette Cazes : Comme dans les hôpitaux, le bracelet est en plastique, avec le nom, la date de décès. Mis au moment de la constatation du décès, on ne l’enlève jamais. Cela permet le suivi du corps.
Rebelle(s) : Qui le met ?
Juliette Cazes : Le médecin ou le SAMU. Cela peut-être fait par le service funéraire en compagnie du médecin. C’est une procédure légale. Quand un corps m’arrive, il en porte toujours un, car si ce n’est pas le cas je ne peux l’accepter, ne connaissant pas son identité. Même avec un certificat de décès, un bracelet est donc obligatoire. Les familles trouvant cela très vilain demandent qu’il soit ôté. Alors j’explique pourquoi ce n’est pas autorisé par la loi, et ils comprennent.
Rebelle(s) : Quand vous recevez un enfant, est-ce plus difficile ? Quelle prise de distance est donc possible ?
Juliette Cazes : Cela s’est imposé naturellement à moi. Toutefois, dans mon équipe, je suis la seule à ne pas avoir d’enfant. Dans les pompes funèbres, on peut constater une forte émotion de la part des employés quand ils sont parents. J’ai toutefois cette prise de distance, et sans doute l’anthropologie m’a-t-elle beaucoup aidée. En effet, j’ai appris que dans beaucoup de société, la mort de l’enfant n’a pas le caractère d’inacceptabilité qu’elle a chez nous. Le statut ne l’enfant n’est pas encore acté. N’ayant pas encore été intégré dans la communauté, il aura droit à des rites funéraires différents. Cette vision s’impose à moi dans ces circonstances.
Rebelle(s) : Trouve-t-on de telles communautés en France ?
Juliette Cazes : Je n’ai pas creusé la question mais nous sommes dans une société où les enfants sont très reconnus. Le combat actuel dans ce domaine est lié à la situation de l’enfant au moment du décès : mort périnatale ou prénatale. Quand l’enfant existe dans l’état civil, je le prends en charge comme un autre patient. Des collègues vont être plus maternantes. Elles vont placer le corps comme dans un couffin, vont lui parler.
Rebelle(s) : Ce monologue qui est un dialogue symbolique, cela arrive-t-il souvent ?
Juliette Cazes : Nous parlons tous aux morts. Quand ils arrivent : « Bonjour Madame », « Bonjour Monsieur » ; à la toilette : « Pardon Madame », « Pardon Monsieur » quand par exemple on laisse tomber un bras, une brusquerie involontaire ; toujours par leur nom, leur prénom.
Rebelle(s) : S’agit-il pour le praticien de donner encore de la vie au mort – un côté démiurgique – ou est-ce une mise à distance relative ?
Juliette Cazes : D’abord une marque de respect, ensuite un garde-fou. Il nous arrive de nous dire « quel métier fait-on donc ! » C’est aussi un moyen de ne pas perdre d’humanité.
Nous faisons un métier où l’on trouve pas mal d’introvertis. C’est normal de parler avec les morts.
Rebelle(s) : Vous ne me faites pas l’impression d’une personne introvertie. Seriez-vous l’exception qui confirme la règle ?
Juliette Cazes : Cela peut m’arriver, et à mes collègues aussi. Nous sommes tout de même assez particuliers… Avec des morts, dans un environnement qui ne sent pas bon, où il fait froid. C’est rude.
Rebelle(s) : Vous travaillez avec des masques ?
Juliette Cazes : Ils ont obligatoires ainsi que les gants, pour se protéger.
Rebelle(s) : Il y a un côté médical.
Juliette Cazes : Oui, ce métier pousse quelquefois à aller en thanatopraxie ou même en médecine. Cela nous passionne.
À SUIVRE…
Deuxième partie de l’interview :