Céder au communautarisme, c’est porter un coup mortel à la cathédrale du futur en quête de fraternité holistique. Étymologiquement, le terme même de communautarisme vient du latin «communis», formé de « cum » qui veut dire «avec, ensemble» et de « munus » signifiant «charges, problèmes, dettes». Le communautarisme revient à se mettre ensemble afin d’affronter des charges ou des problèmes communs. Pierre-André Taguieff dit en substance que le communautarisme entraîne un projet sociopolitique visant à soumettre les membres d’un groupe défini aux normes supposées propres à ce groupe. Une évidence émerge: un communautarisme se définit le plus souvent, en France surtout, par opposition à une autre identité. C’est in praxis garder une porte grande ouverte sur l’emprise des réflexes de sectarisme, sur le refus d’une universalité à respecter entre les êtres humains. C’est la peur de franchir des ponts permis, et même recommandés, entre telle ou telle communauté religieuse, par exemple. L’Homme, de tout temps, a vécu en groupe. Darwin pensait même qu’il y a quelques centaines de milliers d’années, l’homme laissa paraître ses prédispositions au communautarisme, en vivant comme les grands singes, en petits groupes très organisés…
De l’influence de la famille
Pour la plupart d’entre nous, l’existence commence dès la conception. Nous naissons d’une mère, au sein d’une famille. Cette famille insuffle l’amour et éduque le cœur à battre aussi pour les autres. Dans une famille digne de
ce nom, la «maison» est plus qu’une demeure, elle est un refuge, une protection face au mal et à la différence. À ce stade, la famille nous apporte une sensation de sécurité nécessaire à l’identification profonde et individuelle. Elle est donc positive, et bénéfique. Quel rôle joue alors le communautarisme ? Comment le définir ? C’est tout d’abord un ensemble de valeurs et un mouvement homéostatique de pensée. On défend en priorité les valeurs de la famille, la façon de penser d’un père, l’image archétypale d’un frère. Cela nous aide à déployer notre individuation. De fait, il semble impossible de connaître et reconnaître les valeurs morales et une quelconque éthique universelle sans, dans un premier temps, connaître ce qui inspire son environnement proche. In situ, la religion peut être mal interprétée, en quelque sorte «mal lue ».
De l’influence de la religion
Je suis né en plein cœur d’une famille juive marocaine. Une mère née à Fès et un père à Tanger… Ils se rencontrèrent rue Ibn Batouta, dans le centre de Casablanca. Les deux familles étant voisines, la proximité s’avérait inévitable. Et les deux familles étant juives, la rencontre était possible. Vous le savez tous, les juifs ne se marient en général qu’entre eux, au nom de la religion. Et même au nom de la race. Après tout, disons-le: si l’arbre généalogique nous lie, dans le lointain, à Moïse et Abraham, la brisure devient d’autant plus grande après l’union d’un juif avec un «goy» (non-juif). En réalité, c’est alors toute l’identité profonde d’un peuple qui est mise en danger. C’est aussi cela l’un des aspects du communautarisme ! On se sent bien parmi les siens. Nous partageons une croyance commune et notre chemin de foi arpente ensemble les mêmes sentiers, pas ceux des autres.
Quant à moi, je déplore ce sentiment, parce que j’essaye d’aimer l’autre d’où qu’il vienne. Certes, j’aime ma religion mais je n’aime pas les dérives sectaires générées par des hommes au regard égaré par leurs nombrils! Beaucoup de juifs de «chez moi» pensent que la Torah n’a guère besoin des autres textes sacrés pour se faire valoir devant le Créateur. Et ils ont sans doute raison. Mais il n’empêche que l’Évangile, également, n’a nul besoin d’un commentaire superfétatoire pour laisser rayonner ses précieuses valeurs. Quant au Coran, il se fonde sur les révélations d’un prophète qui ne fait pas abstraction de ses prédécesseurs : Jésus (Issa) et Moïse (Moussa), puisqu’il advient après eux.
Les sourates sont claires de ce point de vue. Mais d’autres sourates sont plus barbares concernant l’attitude de rejet recommandée face aux impies. Pour un certain Islam radical, le monde semble séparé en deux : les bons musulmans et les autres. Ce clivage s’apparente à une dérive sectaire : il y a les bons, et les méchants (tous les autres). Et c’est de cette façon que les valeurs de l’Islam deviennent plus importantes que les valeurs universelles de liberté et d’égalité qui sont les miennes. Je le répète, le «on est bien parmi les siens» ne justifie pas un tel dérapage. En vérité, on existe sans avoir besoin de le prouver. Pourtant, c’est presque merveilleux de découvrir un juif quand on l’est soi-même. Il y a alors ce sentiment qui nous traverse et nous fait dire «je vais lui faire comprendre que je le suis aussi». Cela décuple la confiance mutuelle qui peut, naturellement, naître.
Un jour, un ami, juif marocain comme moi, me racontait une de ses mésaventures dans un bus parisien, avec des Maghrébins qui voulaient le dépouiller de son portefeuille. Il les supplia en Arabe de le laisser en paix au
nom d’Allah et du Saint Coran, tout en sachant pertinemment qu’être juif était un facteur aggravant dans sa situation. Toujours est-il qu’ils s’excusèrent tous d’avoir tenté d’agresser « un frère » et qu’ils le laissèrent continuer son chemin… Mon ami en question était si fier d’avoir profité de sa double identité de Séfarade grâce à laquelle il maîtrisait, justement, la langue arabe ! L’Arabe semble si difficile à porter de nos jours avec le conflit israélo-palestinien qui réveille l’Histoire et la Bible quand Isaac et Ismaël se disputaient le père ! Je dis bien « semble » mais j’assume totalement ce dernier verbe ! De toute façon, j’aime tout ce qui brise des frontières de haine raciale, et je n’oublie pas que dans toutes les familles juives, il y a quelqu’un qui déteste les musulmans ! Il y a toujours un myope qui haït les juifs, tout comme dans toute famille juive, on repère la personne qui déteste les musulmans !
Il y a aussi les pacificateurs, c’est-à-dire ceux qui désignent juifs et arabes comme appartenant à la communauté des sémites. Là, une fois de plus, on sépare encore les hommes en leur trouvant un plus grand groupe, une plus grande famille. Je parle ici des juifs et des arabes, mais il en va de même pour tant d’autres communautés… Je ne vais pas les évoquer pour accuser un mal sans doute endémique à l’espèce humaine ! Parfois, je me sens bien seul à penser que ma communauté véritable, c’est l’humanité toute entière. C’est l’homme, et son esprit, et c’est aussi la vie et la matière. Beaucoup diront que c’est facile pour moi de le dire, tout comme Imagine de John Lennon est une utopie. Mais une utopie vendue à des centaines de millions d’exemplaires, ce qui revient à dire que c’est presque une bible!
Souvent, je m’imagine tel un cosmonaute quittant la planète Terre. Plus je m’éloigne, plus ma planète me manque. J’ai peut-être peur de mourir loin d’elle et loin «des miens», c’est-à-dire de mon frère, de ma mère, de mon voisin. En fait, je crois plutôt que je souhaite mourir près d’un arbre, sur une prairie où l’herbe vit et où un homme que je ne connais pas pourrait venir se recueillir.