En ces temps de préliminaires présidentiels, il est politiquement correct pour un électeur de gauche normal, de dire, ou plus discrètement pour ceux qui n’assument pas une telle « débandade », de « se dire » que finalement Jupiter le vertical est le moins pire des « partenaires » pour les 5 prochaines années.
Ce faisant, une fois de plus, cet électeur va voter contre quelqu’un et non pour un individu et un programme. L’acceptation de cette confusion a pourtant favorisé le maintien de Chirac aux affaires pour un deuxième mandat et, sans doute, contribué à mobiliser des années durant l’électorat du Front National, frustré qu’il fut d’avoir été spolié, par « l’establishment », d’une victoire annoncée.
Il est vrai que le puissant investissement intellectuel démontré depuis de nombreux mois par les caciques de toutes les parties de la gauche pour élaborer un bilan crédible de la situation du Pays et articuler le programme susceptible de lui redonner l’allant et la cohésion nécessaires à l’affrontement des affres probables du Monde Nouveau, emprunte plutôt du cataplasme sur une jambe de bois. Il confirme que l’ivresse de la perspective de revenir au pouvoir, si elle rend fous certains, fait perdre tous leurs moyens à d’autres. Comment oser s’incruster sur la feuille de match alors qu’en laissant sa place à un joueur – ou une joueuse – plus en forme, l’équipe pourrait l’emporter.
Venant du camp conservateur, cela semble aller de soi, qui a souvent préféré le chacun pour soi au tous pour un. Cette posture est plus étonnante de la part de la gauche, quel que soit son bulletin de santé. A-t-elle honte des succès emportés en jouant la solidarité, en défendant l’égalité, en cherchant le progrès ? D’autant que, si elle n’a pas le monopole du cœur, elle n’a aucun complexe à faire vis-à-vis de la droite qui n’a pas davantage le monopole de l’intelligence. Qu’a-t-elle fait des travaux de ses experts qui ont enrichi la connaissance et le savoir concernant le vivre ensemble, qu’il s’agisse de Jacques ATTALI, Daniel COHEN, Louis GALLOIS, Jean PEYRELEVADE ou bien d’autres, intellectuels, créateurs, acteurs de terrain notamment, qui se sont montrés largement au niveau des icônes proposées par la droite. En faisant fi de ses plus robustes racines, la gauche et ses prétendant(e)s courent au suicide. À se concentrer sur la vision de leur nombril et sur la planification de leur arrivée au pouvoir, ils trompent les espoirs et la confiance qu’une bonne partie du peuple leur accorde encore. À considérer que les soubresauts de l’actualité peuvent tenir lieu de sismographe des fractures récurrentes qui jettent les uns contre les autres, ils déchirent le tissu social qu’ils ont pour mission de réhabiliter. À regarder de manière obsessionnelle et obscène les courbes des sondages, ils adoptent les pires règles des soldats du « temps de cerveau disponible », au lieu de penser de nouveaux indicateurs documentant l’état de santé des différentes composantes de la société. À s’enivrer de la sidérante avalanche de faits et d’évènements de peu d’importance au regard des vrais sujets qui préoccupent les vrais gens, ils répandent un rideau de fumée qui ne suffit même plus à dissimuler leurs turpitudes.
Dans un tel contexte, il pourrait être revigorant de revisiter, sans angélisme, les tenants et aboutissants qui ont permis l’éclosion du « Mouvement du 22 mars 1968 », il y a tout juste 54 ans. Il pourrait être éclairant de comprendre comment un petit groupe d’étudiants d’extrême-gauche, notamment animé par Alain KRIVINE, fondé en quelques heures après l’occupation d’un bâtiment de la faculté de Nanterre, a réussi à obtenir la libération de militants opposés à la guerre du Viêt-Nam. Il pourrait être instructif de constater que la lucidité et la détermination de quelques-uns à lutter contre les mirages d’un projet de société fomenté par les zélateurs du Grand Capital, a permis, quelques semaines plus tard, l’explosion d’un raz de marée dont les analystes d’alors prédisaient que la France ne se remettrait pas.
Vladimir POUTINE offre pourtant un nouveau Viet-Nam au monde entier, qui devrait rafraichir les mémoires et les ardeurs. Ce retour du « tragique de l’histoire », que personne n’a voulu anticiper ni empêcher, devrait alerter et mobiliser toutes les amoureux du « vivre monde » promis par des décennies de presque paix. Manifestement le cœur n’y est plus. Et il faut reconnaitre que les « damnés de la terre » et « les forçats de la faim » n’ont plus guère le courage d’oser « faire du passé table rase, ni de changer le monde de base », démobilisés par des confinements qui ne les aident pas à penser qu’ils ne sont rien, mais qu’ils peuvent être tout… Même Alain KRIVINE, inspirateur en chef du front du refus, a préféré quitter la scène avant que s’achève le consternant spectacle de l’impuissance de ses anciens compagnons de lutte, qui contrairement à lui, n’osent pas réfléchir aux incertitudes et aux risques d’une société dopée au « toujours plus » et au « chacun pour soi ».
Ces manquements à la responsabilité individuelle et à l’ambition collective font bien entendu les affaires de tous les « terroristes » de la petite politique et des mercenaires de l’anti-système. Les élections présidentielles seront le juge de paix de ces menées. Mais le simple fait que l’accession au pouvoir de leurs auteurs soit évoquée, ne serait-ce que celui de remplir de nouveau la rue de gilets colorés, montre l’ampleur du désastre annoncé. Ils n’ont plus aucun scrupule dans leurs manœuvres de recrutement d’électeurs désormais vaccinés contre le « je ne fais pas ce que je dis » et « je ne dis pas ce que je fais ». Trompez, mentez, cachez, trichez… il en restera toujours quelque chose d’utile pour conquérir le pouvoir ; que ceux qui en doute se repassent le film de l’arrivée et de la sortie du pouvoir de Donald TRUMP.
Il n’est pourtant pas question de confier les clés du camion à un homme – ou une femme – providentiel, solution qui a toujours laissé des traces de ses mortels vertiges. Mais quand même, n’y a-t-il pas quelques sages esprits, compétents, créatifs, désintéressés, confiants dans le potentiel de cet admirable peuple qui a porté la France au pinacle d’une République démocratique ? Car si personne ne se bouge, le jour où il sera trop tard peut rapidement advenir.