Publié dans Rebelle(s) N°13
Pour fêter l’infâme idole
Rois et peuples confondus
Au bruit sombre des écus
Dansent une ronde folle
Autour de son piédestal –
Autour de son piédestal!
Et Satan conduit le bal –
Conduit le bal!
Et Satan conduit le bal – FAUST. Acte II.
Qui est l’ennemi ?
Dans les religions du livre apparaît un démiurge déchu et malfaisant, responsable de tous nos malheurs : Satan. Il est aidé par des suppôts, c’est à dire les « très en-dessous ». Ainsi se constitue un contre-univers céleste de la lumière divine avec à sa tête (en bas, comme le pendu des Tarots), le Prince des Ténèbres : Satan ! Il hante les enfers obscurs. Le poète dit qu’il est un être déchu « qui se souvient des cieux. » Est-ce pour se venger ? S’incarne-t-il- parfois dans la Reine de la Nuit ? Satan est un antipodiste caché dans une autre dimension du « Grand en Bas. » La verticalité inversée, c’est sa retraite, il médite dans une position de réflexion ourdissant des complots contre « les Guerriers de la Lumière ». Il est bien du « côté obscur de la force. » Mais une étincelle du divin brille encore en lui. Les adorateurs de Satan savent que nous sommes, en tant que créatures, tous liés et que le criminel et le saint sont toujours des frères dans « l’ordre de la nuit. »
Pour le commun, disons le profane, le non initié, existent des pouvoirs occultes qui nuisent à son accomplissement. Les oppositions à La Maçonnerie, aux Juifs, à la Compagnie de Jésus prennent tour à tour, selon les moments de l’histoire, le visage masqué d’un complot. Le phénomène le plus moderne de la subversion des Etats est la Scientologie dont le louable but d’amélioration de l’homme s’accompagne d’une mise en réseau d’influences dans les institutions. Ces réseaux supposés puissants expliquent l’impossibilité d’agir dans le cadre légal d’une démocratie politique transparente. Pour que l’ennemi nous nuise, il faut qu’il soit invisible. De là vient la puissance des forces occultes des juifs et des Francs Maçons voire la Compagnie de Jésus, au XVIIème siècle, la Compagnie du Saint-Sacrement. Les Francs Maçons et les Juifs seraient responsables de l’étrange défaite de 1940 ; ainsi fut qualifiée par l’historien Marc Bloch la description vécue de la débâcle de 1940. Cette expression justifie, malgré l’auteur, la mise en place d’une théorie du complot. Ce qui nous accable soudain ne peut être expliqué que par une action extérieure cachée. Cela nous déresponsabilise car l’ennemi est insaisissable. « Les murs ont des oreilles, l’ennemi nous écoute » est l’illustration graphique des affichistes de la « Drôle de guerre », celle qui ne dit pas son nom ni ne montre encore son visage.
Les fiancées de Satan, Prince des Ténèbres ou les sombres fées du monothéisme
Les dieux antiques, maléfiques ou bons, dirigeaient le sort des mortels. Mais le Grand Pan mourut avec l’avènement du monothéisme chrétien. Plutarque prétendit avoir entendu ce cri de mort désespéré. Le « Galiléen » avait triomphé. Le monothéisme annonce la mort des dieux. La croyance en un seul Dieu exclut toutes les autres. Les idoles des anciens dieux ont un pouvoir maléfique. On ne les adore plus, on les brise ou on les expose au Musée du Quai Branly. Dieu seul est grand.
Au sein des trois monothéismes, juifs, chrétiens et mahométans voient Dieu en toute chose. Le divin, réduit à l’unique, est le maître de l’horizontalité terrestre mais cela n’exclut pas (ou bien : ne garantit rien contre) les êtres malfaisants venus des mondes infernaux du Grand En Bas. Pour justifier le mal qui est en l’homme il faut compter avec les créatures des ténèbres : Satan et ses fiancées responsables de nos malheurs. Les Sorcières poussent Macbeth au meurtre du Roi Duncan. Leurs prophéties de métaphores à double sens induisent en erreur et trompent les pauvres humains.
Le monde moderne est une contrefaçon déguisée et confortée de l’ancien : le Léviathan
Les Jésuites, les Francs Maçons, les Scientologues parmi d’autres espérances à venir, ont en commun de trouver Dieu en ce monde où toutes choses entourent et servent l’homme qu’il faut améliorer. Ils sont à la fois dans le complot pour le bien, menacés et contraints par les forces occultes du complot maléfique. Satan et ses suppôts sont à l’oeuvre en ce monde intranquille et peut-être, par illusion quantique, incréé. Le chaos viendrait donc d’un En-Bas. Pour le contrer, les monothéismes confortent un pouvoir étatique fort en la personne des rois et des princes, puis, selon Hobbes, définissent un monstre de pouvoir : le Léviathan. « Sans un Etat fort les hommes finiraient par s’entretuer. »
Les Jésuites trouvent Dieu en toute chose (Teilhard de Chardin et l’évolutionnisme chrétien).
Les Francs Maçons, par idéal fraternel humaniste, sont guidés par la Lumière du Grand Architecte de l’Univers.
Les Scientologues, pour « faire science » recherchent en l’homme le principe de bonté à développer et la découverte d’une hypothétique immortalité.
En proie aux complots de l’En-Bas, Jésuites, Francs Maçons et Scientologues sont accusés de vouloir s’approprier la puissance politique des dominants et de pouvoir agir sur le cours des événements présents. Par une inversion de sens, ils sont perçus comme organisateurs du complot de l’En-Haut.
Devant l’échec répété d’un grand dessein de réforme humaine, le recours à une explication de Satan et ses Suppôts s’impose à l’opinion en proie aux doutes, par la théorie du complot qui comme la diode fonctionnerait dans les deux sens. Or ce qui est en haut est bien aussi en bas. La masse visible des univers est bien contenue par une mystérieuse énergie noire.
Retour au temps fléché de notre histoire médiane
Revenons au temps historique conscient et si bref de l’humanité dont la longue marche vers la Lumière, s’enracine par élan vital dans les plus anciens organismes unicellulaires, avatars de mémoires égarées dans l’espace et le temps sans commencement. Pouvons nous croire que nos sentiments soient uniquement composés de carbone ? Ce serait désespérer de Satan, l’ennemi, l’accusateur, sombre rédempteur dont la présence nécessaire est attestée dans les trois religions monothéistes du livre. Le monde tient d’une énigmatique symétrie.
Regagnons le centre de l’union.
Les Jésuites, parvenus à la maîtrise du pouvoir pontifical actuel, m’ont appris jadis une formule à la fois bien humaine et impertinente dont je ne vous fais pas grâce afin de moins désespérer.
« Au nom de leur Immanence les Eglises couchent avec tous les régimes mais les font tous cocus au nom de leur Transcendance. »